Merci à Albane Penaranda d'avoir rediffusé dans la nuit de samedi dernier sur France Culture, les quatre Nuits magnétiques qu'Andrew Orr consacrait en 1991 à une histoire de la radio. Voilà comment Albane la présente "Dans les premières années des seventies, à la Maison de la radio et de la télévision (1), et tout particulièrement sur France Culture, des fous de radio, jeunes et moins jeunes, profitaient sans contrainte commerciale (2) de cet outil exceptionnel pour y inventer des bulles de liberté, liberté d'expression et d'innovation, alors qu'au dehors de la Maison ronde aussi surnommée "Le palais de Gruyère", d'autres fous de radio et commerçants avisés rongeaient leur frein en attendant que sonne l'heure de la rébellion contre le monopole de l'État sur les ondes…".
"Cause toujours tu m'intéresses" le titre du premier épisode (18 juin 1991) est un uppercut à la mémoire et à la réalité de ce qu'est devenu la chaîne culturelle aujourd'hui. Andrew Orr jongle avec les ondes qu'en Europe on peut capter au début des années 70. Et l'insert de l'"Allegro" de René Aubry me donne toujours autant les frissons, surtout si Colette Fellous vient y superposer sa voix. Pour y dire non pas des choses banales et creuses, des inventaires plats pour introduire une émission, la roucoule à deux balles genre Hélène et les garçons, et un ton con-passé qui n'apporte rien au propos. Fellous nous plongeait systématiquement dans un imaginaire de grand écran sans jamais refaire le film.
Et puis on passe de 1975 à 1981… Les témoignages sont précieux car qui, aujourd'hui, parle de radio, pas d'émissions, de radio ? D'environnement sonore, de création radiophonique avec des marqueurs temporels forts ? "En 75, déjà dans l'enceinte de l'Atelier de Création Radiophonique (ACR) on réfléchit, on écoute, on discute monopole, on converse avec les pirates, Jean-Marc Fombonne [co-fondateur de Radio Nova], Antoine Lefébure [créateur de la revue Interférences], la vérité… (je ne comprends pas le mot suivant) par nos contraires."
Alain Veinstein "En 78, j'ai fait une radio pirate [Les Nuits magnétiques], je ne pense pas qu'il y en ait eu d'autres après, j'étais pirate parce que j'étais dans les eaux territoriales même du service public. Je détournais les moyens du service public, ses studios, ses réalisateurs, ses techniciens, ses cellules de montage pour fabriquer un programme subversif par rapport au programme général de la chaîne. L'idée a été de travailler sur la notion d'équipe et pas sur la notion de producteur comme c'était le cas [dans les autres émissions]. Un programme dans lequel on pouvait retrouver tous les genres d'émissions qu'on peut vouloir trouver à la radio." (Avec en tapis sonore les premières notes de "Le pont" de Gérard Manset)
Et Joëlle Girard, mémoire absolue des radios buissonnières (et pas que) nous donne à entendre des sons invraisemblables, un foisonnement débridé et une libération de la parole tous azimuts. Catherine Portevin, chef de rubrique radio à Télérama "[Dans les radios commerciales] beaucoup de rythmes ont été induits, en particulier la brièveté des formats pour les radios les plus professionnelles, entre guillemets, on ne pouvait pas parler plus de 2' et 2' c'était déjà beaucoup… Beaucoup d'habitudes [méthodes] qui ont rejailli sur le service public et sur les radios en général dans leur obsession de la rapidité. Aujourd'hui si France Info est née [1987], outre sa préoccupation de l'information rapide… ça a été créé par des gens qui écoutaient beaucoup les radios privées… Pour avoir inventé un format comme celui-là il a fallu écouter absolument la bande FM, se coller à ce rythme-là."
Ces quatre Nuits magnétiques d'Andrew Orr ont permis de balayer le large spectre de la bande FM, de ses prémices et d'une situation en 1991, où la liberté a beaucoup déserté les ondes. Merci à la radio publique d'avoir fait le job pour enrichir notre mémoire.
Veinstein (dans le quatrième épisode) "Il faut toujours être en état d'alerte. Est-ce qu'on l'est assez en ce moment ? Est-ce qu'on ne se contente pas de ce qu'on a ? C'est une question que je me pose souvent mais je ne sais pas si on se la pose dans l'ensemble de la chaîne. Le sentiment que j'ai c'est qu'on est trop rassuré par une audience qui ne décline pas… Pour se rassurer ne cherche-t-on pas à maintenir un cap qui est peut-être trop proche de celui des autres vaisseaux qui naviguent dans les eaux de la radio ? Parfois je me demande s'il n'y a pas une menace d'uniformisation qui a frappé toutes les radios même les radios que vous appeliez libres qui sont aujourd'hui privées, et privées de beaucoup de choses ? Est-ce que France Culture n'est pas dans cette maladie-là, de ne pas vouloir faire trop de vagues et se rapprocher, lentement mais sûrement, d'autres radios ? France Culture ne peut se maintenir que par l'affirmation de sa spécificité. À partir du moment où on essaye de faire comme les autres, de jouer dans la cour des grands on est condamné à plus ou moins long terme. Ce danger-là me paraît réel."
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