Il y a des choses plus difficiles que d'autres à écrire. Surtout quand Jean-Marie Borzeix est décédé samedi dernier. De 1984 à 1997 il avait dirigé, comme personne, la radio culturelle publique qui pouvait se targuer de l'être. Et avec quel brio ! J'ai eu la chance de pouvoir converser avec lui à plusieurs reprises. Simple, délicat et pertinent il savait parler de sa période de direction sans jamais se mettre en avant, tout en annonçant ses convictions profondes pour la radio. «La radio se fait comme on structure un livre, un film, un journal ou une revue. C'est un travail d'équipe. Techniciens, auteurs, réalisateurs et producteurs apportent tous leur pierre à l'édifice. Pour eux, la radio ce n'est pas seulement ouvrir un micro devant un invité.» (1)
Venu de la Presse, Combat (1968-1973), Le Quotidein de Paris et Les Nouvelles littéraires, puis directeur littéraire aux Éditions du Seuil (1979-1984) ses treize ans de direction auront marqué profondément France Culture pour laquelle il a installé des émissions, on pourrait oser des émissions de patrimoine. Culture matin, de Jean Lebrun, Le Pays d'ici (Laurence Bloch), Les Nuits de France Culture (2), L'Histoire en direct (Patrice Gélinet), Le bon plaisir (François Maspero),… Des Papous dans la tête (Bertrand Jérôme, Françoise Treussard),…
Pour le Pays d'ici il précise : "À la fois provincial [Corrézien née à Bugeat] et parisien. Je voulais que la France et ses pays aient toute leur place à France Culture. Je voulais que cette émission soit un repère qui, sur place, rassemble tous les terrains, sociaux, culturels, politiques. Une émission compliquée qui nécessitait beaucoup de moyens financiers et techniques. Elle imposait des repérages. Elle a pu s’appuyer sur les meilleurs producteurs de la chaîne qui, sans barguigner - ils étaient tous jeunes - ont passé beau-coup de temps pour réaliser leurs documentaires, en dépassant les contraintes d’un service public… Le Pays d’ici a été une grande école de la radio culturelle. Tous les jours de la semaine, sur le terrain, elle a permis de mêler les angles : archives, témoignages, actualité de la Recherche. Une émission d’actualité. Curieuse de la modernité pour mettre en perspective et bien mesurer notre temps." (3).
"Cette formation (de Borzeix, ndlr) qui remonte à la plus haute Antiquité, ne va pas être sans influence sur le style que tu as donné à France Culture. Car au fond tu as laissé parfois le désordre et la cacophonie sans trop t'en préoccuper. Mais surtout moi j'ai beaucoup appris à cette école-là, car tu acceptais des opinions extrêmement diverses et tu détestais le monolithisme. Ça c'est la définition du Service Public, puisque les auditeurs étant de sensibilités différentes, il faut qu'ils entendent les uns et les autres ce qu'ils ont envie d'entendre. Il faut aussi qu'ils entendent ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre et il faut absolument sortir les producteurs de leur volonté d'apporter leur message. Et tu disais sans cesse aux producteurs et ça c'était l'esprit de Combat "Soyez dans la controverse, soyez dans le débat". (4)
Borzeix acquiesce. "Je me suis beaucoup battu pour ça. À quoi ça sert un directeur dans une radio ? C'est constamment (et ce n'est pas très glorieux comme rôle) de rappeler à l'ordre. C'est ouvrir au maximum l'éventail des opinions, des sujets, la diversité des formes, et c'est un travail qu'il faut mener constamment. Il faut se battre dans une radio comme France Culture contre des dangers qui sont récurrents et permanents : le parisianisme. Et je me suis beaucoup battu contre le parisianisme et la mondanité. C'est pourquoi dès en arrivant en 1984 j'ai voulu créer une émission quotidienne "Le Pays d'ici" qui coûtait cher et qui se promenait toute l'année dans toutes les régions de France, qui faisait du reportage, du direct. C'était pour moi important, et plus que symboliquement, d'entendre ces voix loin du quartier latin, loin de la Maison de la radio." (4).
Lors d'un de nos entretiens, surpris par ma recherche (compulsive) sur la radio il a très vite évoqué de très grands sujets d'histoire (Chute du mur de Berlin, Ceaucescu, la Pologne,…) pour lesquels la chaîne était allée sur place. Il me rappela aussi que le "Pays d'ici" pouvait à de nombreuses occasions, toute l'année, être sur les lieux de grands ou plus petits événements culturels et/ou sociaux. Mais, et c'est ce qui fera le sel de cet échange, Jean-Marie Borzeix, me fit remarquer que la chaîne pouvait aussi se rendre dans des lieux où il ne se passait "rien". Et de me citer deux producteurs, Jean Couturier et Irène Omélianenko, qui dans une roulotte recueillaient "la parole qui passe".(5) Et ce moment savoureux sur France Inter quand Philippe Caloni interviewe Jean-Marie Borzeix le 15 octobre 1984.
Souhaitant que France Culture soit digne de cet héritage et consacre à Jean-Marie Borzeix l'hommage qu'il mérite.
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