vendredi 29 mars 2024

Pourquoi rallumer la radio quand Veil s’apprête à l’éteindre ?

Dans La Tribune Dimanche, ce 24 mars, Laurent Lafon et Quentin Bataillon (1) annoncent "L'heure est venue de réformer l'audiovisuel public." Hier devant le personnel de Radio France, sa Pédégère a présenté son projet stratégique 2024-2028. Je n'ai choisi pour écrire ce billet que deux "détails" qui n'en sont pas et qui en disent long sur le big-bang à venir. Ce dernier terme est lui-même employé par les signataires de la tribune.










Ces mêmes signataires affirment la nécessité de "regrouper les forces". "Nous préconisons plutôt la mise en place d'une structure commune qui pourrait s'appeler "France médias". Sans exclure la possibilité à terme d'une entreprise unique, cette option préserverait l'identité des différentes filiales : France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA". Ça c'est pour le contexte, le détail c'est la conclusion de la tribune. "Rallumons nos radios et nos télévisions". J'y reviendrai.

Madame Veil a développé son projet stratégique, au titre limpide "Un service public audio pour tous". Voilà l'autre détail. De mémoire audiophile ou d'auditeur chevronné c'est la première fois de l'histoire de Radio France (débutée en janvier 1975) que l'audio est sanctuarisé dans un projet d'entreprise et surtout qu'il remplace le mot "radio" qui est l'objet même (et la fonction) de la société "Radio France" (2). De là à ce que la mue aille jusqu'à la création d'"Audio France" il n'y a qu'un pas qu'il est sans doute encore prématuré de franchir (3).

Au titre de cet audio-là il est affirmé : "Ces dernières années, notre stratégie d’élargissement de la radio à l’audio, par l’hybridation de la radio et du numérique à tous les niveaux (de la conception, à la diffusion, en passant par la production), a largement démontré sa pertinence." Madame Veil achève le long parcours qui, depuis 2014, n'a cessé de formaliser la mue jusqu'à la faire aboutir à une révolution sémantique. La radio intégrée (désintégrée ?) dans un grand mouvement audio généré et conditionné par un "tout numérique" tendance dévastateur des procédés (élaboration des émissions), des savoirs faire (des métiers : producteur, réalisateur, technicien du son) et de la chaîne de fabrication (attachés de production, chargés de programme, équipe de réalisation) de la radio elle-même depuis ses origines. Et sûrement de l'art radiophonique fait d’émotion, de sensibilité, et d’humain.

Alors quand, demain, on se croisera à la machine à café la seule question existentielle sera "Toi t'es plutôt hybride ou radio-radio ?".

Dans ce projet stratégique il est écrit : "Nous disons souvent qu’il ne s’agit plus d’une « guerre » de position mais d’une « guerre » de mouvement. Radio France est devenu un média de conquête." Il n'y a plus seulement un Président de la république va-t-en guerre, la doctrine belliciste a infusé jusque dans les couloirs de la Maison de la radio. Au mot "conquête" on peut ajouter "de nouveaux marchés" (des jeunes) et installer le service public de radiodiffusion dans une démarche de branding (image de marque) industrielle. Le privé, les radios privées n'ont qu'à bien se tenir !!!!!

Les podcasts sont le plus formidable faux-nez inventé par les ingénieurs (et quelques geeks acharnés) pour casser la radio et faire entrer dans la tête des auditrices et des auditeurs que toute la production Radio France qu'ils entendent dans un récepteur radio, sur l'appli Radio France et sur les plateformes provient d'un podcast. Le mot "émission" a disparu, demain ce sera au tour du mot "programme" et après-demain du mot "chaîne". Une mue exemplaire qui va s'accompagner d'une méga recomposition d'organisation, de métiers, de compétences et d'une coupe drastique dans la masse salariale ce que les tutelles et la Cour des Comptes attendent depuis vingt-cinq ans.

Pas sûr que MM. Lafon et Bataillon lisent cette chronique. Pourtant je leur suggérerai bien de questionner la Pédégère de Radio France lors d'une prochaine audition à l'Assemblée ou au Sénat. "Madame Veil pourquoi rallumer nos radios alors que l'audio sera audible sur tous les supports numériques et même sur votre plateforme ?"

(1) Laurent Lafon, Sénateur (UC), président de la Commission Culture du Sénat. Quentin Bataillon, Député Renaissance, rapporteur de la mission sur l'audiovisuel public. Et quatre co-signataires : Isabelle Rauch, députée (Horizons), présidente de la commission des Affaires Culturelles, Jean-Raymond Hugonet, sénateur (LR), rapporteur de la proposition de loi, Jean-Jacques Gaultier, député, président de la mission sur l'audiovisuel public, auteur de la proposition de loi organique. Cédric Vial, sénateur (LR), rapporteur budgétaire de l'audiovisuel public,

(2) Qui, rappelons-le, n'est pas un groupe mais une société ! Radio France est une société anonyme détenue par l'État français, créée le 6 janvier 1975, qui gère les stations de radio publiques en France métropolitaine et plusieurs formations musicales.
(3) Prochaine campagne de pub au cul des bus ? "Si t'es audio t'es hybride… Si t'es radio t'es bridé ! "

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