Il est des femmes et des hommes de radio. Par leurs voix, leurs réalisations. Il est aussi des femmes et des hommes de radio, hors micros. Jean-Marie Borzeix est de ceux-là. Vendredi dernier, à Paris, sa famille, ses amis et nombre de ceux qui ont travaillé avec lui à France Culture, dans l'édition et dans la Presse étaient réunis pour un hommage à cet homme tranquille et brillant.
Jean-Marie Borzeix |
Au couvent Saint-Jacques chez les dominicains du Saulchoir, un lieu sobre, propice au recueillement, nous a permis d'entendre les témoignages, émus et émouvants, au cours d'une cérémonie religieuse où le fil de sa vie s'est calmement déroulé. De son enfance à Bugeat (Corrèze) jusqu'à ses différentes aventures professionnelles toutes empreintes d'humanité et de culture. Pour ce que je connais le mieux, son parcours à France Culture, il était bon de voir (et aussi d'entendre) celles et ceux à qui il avait fait confiance pour créer ensemble une équipe de radio d'exception culturelle et d'exception tout court.
Laurence Bloch, Emmanuel Laurentin (1), Jean-Noël Jeanneney (ce dernier quand il était Pdg, 1982-1986, l'avait nommé directeur de la chaîne) ont chacun leur tour reconnu l'homme qu'a décrit lundi dernier Nicolas Demorand dans son billet de la matinale d'Inter "Jean-Marie Borzeix était ce qu’on appelait au 17e siècle un honnête homme, engagé dans son époque avec scrupule, curiosité et enthousiasme."Ailleurs dans une revue interne de Radio France, plusieurs productrices ou producteurs ont écrit.
Laurence Bloch (2) : "Grâce à vous, il y eut tant de ces moments exaltants et nécessaires car vous souhaitiez par-dessus tout établir des ponts, ouvrir des portes pour que la parole circule et que le dialogue s’établisse envers et contre tout. Et nous qui commencions tout juste notre vie professionnelle nous étions si fiers de suivre cet homme engagé, intrépide et courageux qui défendait sa chaîne et fabriquait avec nous cette alchimie miraculeuse d’une radio en prise avec son époque mais à la bonne distance, sans crainte du temps long, avec pour seul repère le scrupule que l’on doit aux auditeurs et aux citoyens.
Emmanuel Laurentin : "France Culture accueillit dans les années 1980 et 1990 de grandes séries documentaires sur la parole ouvrière, les transformations du monde de la pêche ou une France agricole à la peine. Passionné par les mouvements profonds qui transformaient la société, il initia aussi, après la parution de « la misère du monde » de Pierre Bourdieu une grande opération entre Dunkerque et Pau, « la France en souffrance ».
Philippe Garbit (3) "[Pour Jean-Marie Borzeix] pas d'autoglorification, donc, pas de trémolos, pas de superlatifs incongrus, mais de l'humour, de l'élégance, de la modestie...Et puis, sous-jacent, un étonnement manifeste : ces 24 heures de richesses radiophoniques, comment diable les faire connaitre, comment réussir à les faire partager à des femmes et des hommes qui, par ailleurs, et heureusement, ont une vie familiale, professionnelle, qui sont également des lecteurs de journaux, de romans, d'essais, qui vont au théâtre, au cinéma, etc...? Bref, comment espérer leur voler une partie de cet emploi du temps privé au profit de l'écoute de France Culture ?"
Blandine Masson (4) : "La radio de Jean-Marie Borzeix était une radio des grands espaces et des temps longs… L’intellectuel qu’il était aimait passionnément les arts, le récit, la fiction, la littérature. Son regard aigu sous des sourcils broussailleux me faisait un peu peur lorsque j’étais jeune productrice mais l’humour de Jean-Marie emportait tout. Un humour si malicieux, et presqu’insolent chez un homme d’une grande élégance. Etrangement, c’est longtemps après sa direction de France Culture que j’ai vraiment rencontré Jean-Marie. Et j’ai ainsi pu percevoir son souci et sa préoccupation de la transmission. Il travaillait alors la BNF et œuvra pour la création d’un Fonds consacré à Alain Trutat dont il aimait se souvenir comme d’un franc-tireur. J’ai mesuré alors combien Jean-Marie Borzeix, inventeur de tant d’émissions nouvelles pour France Culture, était aussi attaché à la mémoire et à la continuation de cette mémoire. Le journaliste écrivain avait le sens de l’histoire et la conscience forte de l’inscription des humains dans un temps qui les dépasse."
Bugeat (19) |
Régis Morelon, le prêtre dominicain officiant a donné la parole à qui la voulait. Michèle Perrot, historienne, a dit sa joie à l'appel d'Arlette Farge de participer aux "Lundis de l'histoire". Ma voisine de banc ,Sophie Roekeghem, habitante de Bugeat et Présidente de l'association des "Amis du Pays de Bugeat", association de laquelle Borzeix était proche a pu évoquer leur prochain festival. C'est dans cette commune de Haute-Corrèze que l'enterrement aura lieu aujourd'hui (6).
Parmi ce bel aréopage de gens de radio, j'étais content d'être là. Pour entendre évoquées des émissions, des opérations spéciales (à Bucarest en 1991), un esprit d'équipe, une liberté éditoriale vécue et forgée de 1984 à 1997 dont Jean-Marie Borzeix a été un formidable artisan. Avec cette noble idée de toujours remettre sur le métier, en cherchant, à défaut de la perfection, le bien faire et le bien partagé. Tant pis si cet âge d'or de ces années-là n'a pas existé. Pourtant, comme l'a écrit Jean Lebrun (5): "Je sais bien qu'à nulle période, dans aucun milieu, l'âge d'or n'a eu de réalité. Je n'oublie pas les luttes d'influence qui se livraient dans le France Culture des années 1990 entre vieux barons inquiets et jeunes chevaliers gourmands. Il reste que c'est à cette époque que j'ai entendu plus d'une fois mon équipe assurer : "Nous nous souviendrons de ces années comme des meilleures de notre vie". À cette époque, Jean-Marie vous recevait dans son bureau, ouvrait le tiroir en vous disant : "L'audience est bonne". Il n'avait pas besoin d'en dire davantage.".
Merci Jean-Marie Borzeix pour tout cela. Fasse que là où vous êtes maintenant de bonnes ondes continuent à vous parvenir.
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