samedi 3 août 2013

Arnaut/Senaux : tout pour le son

Robert Arnaut du temps de l'Oreille en coin



Passée l'émotion et un besoin de penser sereinement et silencieusement à ce producteur sensible, j'ai demandé à Guy Senaux, ingénieur du son à Radio France, avec qui il a travaillé quarante ans d'évoquer la mémoire du conteur-explorateur Robert Arnaut.

Radio Fañch : Dans quelles conditions l'avez-vous rencontré ?
Guy Senaux : À "L'oreille en coin" (1). Natifs tous les deux de la région de Toulouse nos accents nous rapprochaient. Robert Arnaut c'était une vraie palette de talents. J'étais absolument admiratif de sa voix, riche, timbrée. Il avait une écriture précise et rigoureuse et une érudition énorme. C'était un bourreau de travail, toujours à la recherche de la perfection. Il avait une très grande soif de savoir et la volonté d'en être le passeur. Il avait une extraordinaire oreille musicale qui lui permettait de placer son texte en harmonie et en rythme avec les sons et les musiques qui composaient ses émissions.

Radio Fañch : Ce devait être très intimidant de travailler avec lui ?
Guy Senaux : Non, car il était lui-même très respectueux de ceux avec qui il travaillait. il avait une imagination sans borne et surtout quelque chose de rare : le respect de la discipline radiophonique. Cette discipline c'est accepter de travailler dans un carcan technique, avec la qualité pour objectif. En étant soigneux de la forme et régulier par rapport aux contraintes de prise de son. Qualités que Robert avait naturellement en lui, peaufinées par sa grande expérience.

Radio Fañch : Il écrivait donc en pensant "technique" ?
Guy Senaux : Bien sûr. Il pensait mixage absolument. Je disais de lui que c'était "un poète sur gamme". La rigueur de la note, du rythme, la poésie de son agencement. Et puis il avait une qualité alliée à cette rigueur morale, il était ponctuel.

Radio Fañch : Donnez-nous un exemple ?
Guy Senaux : Pour "Le singe soleil" on a fabriqué et ciselé ce documentaire comme un diamant. On a travaillé pendant des semaines tous les jours. Pour le "Cataclysme sonore" on finalisait 3 minutes par jour. Il relevait les changements ou améliorations à faire dans le texte et le lendemain tout était tapé à la machine à écrire pour tout l'équipe. C'était un amoureux total du son ; dès le début de sa carrière, il a collaboré à l'"école" de Jean Thévenot (2).

Radio Fañch : Votre complicité professionnelle se manifestait comment ?
Guy Senaux : Par le regard, de façon instantanée. Il savait exactement ce qu'il fallait faire pour réaliser techniquement ses émissions, il avait le choix final mais il était absolument ouvert à toutes les remarques de ses collaborateurs. Ce qui était magique c'était la maitrise totale de sa diction. Il laissait ses fins de phrase légèrement "en l'air", jamais en baissant le ton, pour que l'auditeur reste suspendu, toujours à l'écoute de la suite à venir. Cela permettait de remonter la musique ou les ambiances un peu plus vite afin de faire un film sonore artistique. On ne mixait pas une émission de Robert Arnaut "à la souris". Il fallait un studio avec un équipement classique : 3 micros, 3 Magnétophones, 3 lecteurs CD, chambre d'écho (Studio 115) pour que le mixage ait lieu en direct et que la sensibilité du producteur soit en osmose avec celle du preneur de son.

Radio Fañch : Comment s'est fait le passage de l'analogique au numérique ?
Guy Senaux : Robert a continué à travailler avec une implantation de studio analogique classique, mais on enregistrait et montait sur un ordinateur.

Radio Fañch : Robert Arnaut disparu, c'est une page de la radio qui se tourne ?
Guy Senaux : Absolument. Il a été mon maître. Il a marqué la radio dans la deuxième moitié du XXème siècle en étant à l'avant garde sur le son, pionnier sur l'écriture en son multi-canal. Il restera comme un formidable chercheur/découvreur.

Tous les liens sur les productions de Robert Arnaut disponibles à l'écoute sont sur le billet publié ce matin. Et ce qu'en écrit Thomas Baumgartner sur son blog.

Demain à 18h ici, un autre témoignage d'un de ses fils spirituels …

(1) France Inter, co-produite par Jean Garretto et Pierre Codou, 1968-1990,
(2) Journaliste (1916-1983), producteur d'émissions de radio comme "Chasseurs de sons",

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire