mardi 23 décembre 2014

Chancel universel…

Avec Claude Lévis-Strauss, © Picard Radio France


















Non seulement l'onde de choc de la disparition de Chancel perturbe le quotidien de chacun mais en plus elle bouleverse les souvenirs, les témoignages et les émotions. J'ai demandé à Jacques Santamaria, ex-directeur de France Inter (1) de bien vouloir évoquer la figure majeure d'un homme de radio exceptionnel.

Radio Fañch : Jacques Chancel c'était qui ?
Jacques Santamaria : Un homme formidable car il a constamment innové, à la radio comme à la télévision. Il faisait toujours du "neuf". Il a surtout eu une nouvelle approche de l'entretien. Il n'aimait pas le mot "interview qui correspondait mieux aux journalistes et à l'actualité. Mais surtout avec ses "Radioscopies" il a replacé l'humain et son invité au centre de l'entretien. Aujourd'hui on a déplacé le sujet et l'objet. L'interviewé s'interviewe lui-même et l'intervieweur étant perpétuellement son propre invité. C'est la grand virage des années 80, l'interviewé ne compte plus c'est l'intervieweur qui a pris sa place. Chancel avait pris pris exactement le contrepied de ça. il jouait un parti contraire. À telle preuve qu'en intro de "Radioscopie" c'est l'invité qui se nomme avant que le producteur ne s'annonce lui-même.

R.F. : C'était la marque de fabrique de Chancel ?
J.S. : C'est révélateur de tout. Chancel laissait parler son invité. Surtout il savait installer les silences comme il fallait. Surtout le silence faisait partie de l'entretien. Comme Desgraupes et Dumayet (2) savaient eux aussi le faire être partie prenante du dialogue. Le silence peut être plus révélateur qu'un son ou qu'une parole.

R.F. : Dans le cadre de vos fonctions vous avez travaillé avec Chancel…
J.S. : Oui avec mes collègues de France Culture Jean-Marie Borzeix et et de France Musique Jean-Pierre Rousseau nous avons inventé "La règle de trois". En fin de semaine Jacques intervenait à tour de rôle sur les trois chaînes. À France Inter pour présenter son invité, à Culture pour le faire raconter ses choix et ses passions culturelles et à Musique pour ce qui concerne la musique. Avant l'heure nous montrions l'unité de Radio France et du service public et la complémentarité de ses chaînes radio. Chancel était un de ces grands hommes du service public justement.

R.F. : Qu'est-ce qui a pu faire l'énorme popularité de Jacques Chancel ?
J.S. : Il savait utiliser la parole pour faire se révéler une personne et c'est ce qui a fait le triomphe de Radioscopie. Mais surtout il n'a jamais perdu de vue l'auditeur. Il n'a jamais pratiqué l'entre-soi qui aujourd'hui tue la radio. Il veillait scrupuleusement à toujours être à la portée de l'auditeur. Il avait une formule formidable "Essayons toujours de donner à l'auditeur ce qu'il pourrait aimer". Quant aux "Grands" qu'il a reçus ils étaient touchés qu'on puisse aussi leur poser des questions simples et ainsi se faire connaître du plus grand nombre. Sans ce "système Radioscopie" des tas de personnalités ne seraient jamais venues à la radio.

R.F. : Vous avez un souvenir précis ?
J.S. : Oui la Radioscopie de Paul Morand qui ne se répandait pas dans les médias. il dit à Chancel : "Vous savez combien j'ai détesté De Gaulle, et pourtant quand je l'ai vu seul, abandonné de tous sur cette plage d'Irlande [après qu'il ait quitté le pouvoir en avril 1969, ndlr], j'ai été tout près de l'aimer". Aujourd'hui Jacques Brel (2) n'irait pas à la radio mais il venait à Radioscopie. Chancel ne cirait jamais les pompes de ses invités. Face à Yves Montand il interroge "Est-ce qu'on peut parler de Marilyn [Monroe] ?". Montand a éludé mais cette façon d'interpeller ses invités faisait partie du système Chancel. Chancel révélait ses invités au sens chimique du terme.

R.F. : Avait-il conscience de ce qu'il allait laisser, tant dans l'histoire de la radio que dans celle du XXème siècle ?
J.S. : Jacques travaillait pour la postérité pour l'éternité sans le savoir. On peut même parler d'universalité et d'intemporalité. Ce qu'il a fait a traversé et traversera les époques et le temps. Je regrette de ne pas avoir entendu une "Radioscopie" ou il aurait été l'invité. Il ne se révélait pas facilement. Pas sûr qu'on ait encore pleinement mesuré l'importance et la richesse de ses Radioscopies marqueurs précieux d'une longue période, de 68 au début des années 90.

R.F. : Il y a quelques années vous aviez échangé avec lui sur ses souvenirs de "Radioscopie" qu'est-ce qu'il avait à en dire ?
J.S. : Il m'a confié une des clefs de sa réussite : "On a tous, tout le monde la peau d'un personnage, et moi pour tous ceux que je recevais il fallait que j'enlève cette peau…"

Et à 18h du son…


(1) 1995-1997,
(2) Sa radioscopie est rediffusée sur Inter aujourd'hui à 16h,

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