Marc Voinchet (interviewé par le JDD) |
Ce qu'il y a de bien avec le Festival Longueur d'Ondes (L.O.) c'est qu'il résiste aux ouragans. Tous les ouragans, ceux qui viennent de la mer comme ceux qui viennent de la presse et qui s'affalent en un petit vent coulis à peine perceptible… Quelques invités ont eu du mal à rejoindre "La tête du monde" (1), ce qui fut le cas de Laure Adler, privant ainsi Marc Voinchet, l'anchorman des "Matins de France Culture", d'une interview qui nous aurait sûrement permis d'apprécier une autre facette de la femme de radio. Malin le staff de L.O. proposa au dit Voinchet de se faire interviewer par Anne-Claire Lainé, coordinatrice du festival. C'est une autre version de l'arroseur arrosé d'un Chaplin, que Voinchet vénère, qui s'est alors jouée samedi dernier à Brest.
Cette interview au long cours nous a permis de retrouver un Marc Voinchet, apaisé, calme et qui prenait le temps d'articuler. Pas d'articuler sa matinale mais bien de nous dire des mots qui ne prenaient pas la fuite à peine sortis de sa bouche. Il faisait bon écouter un récit sensible même si l'interviewé me confiait la veille qu'il détestait ce genre d'exercice. Touché dès le début de son propos quand il évoque "J'ai mis des années à ne pas comprendre si Claude Dominique était un homme ou une femme". Il n'était pas le seul et comme l'intéressée et ses producteurs (2) ne se répandaient pas dans les médias il nous fallait bien tendre l'oreille à l'extrême. Voinchet de rappeler que son amour de la radio est lié à l'enfance ce qui sera sans doute la "marque de fabrique" de ceux nés après guerre et jusqu'au milieu des années 60.
Au fil des extraits sonores, nous voilà plongé dans le style Bouteiller (3), inimité, irremplaçable et fort en verve. On peut comprendre que la petite musique des mots de ce Bouteiller ait fasciné Voinchet tant ses accroches étaient à elles seules de petits récits, ciselés, caustiques et gouailleurs. Et surtout l'on constate l'écoute aigüe d'un Voinchet qui n'hésite pas à baptiser Bouteiller "The voice". "Il joue de sa voix comme s'il chantait, il fait traîner les syllabes, il fait de faux arrêts, je le soupçonne même de faire quelques déglutitions pour rythmer, pour pas qu'on l'attende, pour changer le rythme de son élocution." (4). Pour ces années 70 et 80, Marc Voinchet parle de "très grande époque France Inter" et je pense que nous sommes plusieurs à partager ce point de vue.
Et il fût bien agréable d'entendre Voinchet analyser le travail de Yann Paranthoën sur "On nagra" (5) en s'attachant à la création sonore aussi bien qu'au récit. Ce qui est séduisant c'est qu'on découvre un Voinchet auditeur à la culture radio qui dépasse l'anecdote, à la culture d'écoute qui ont participé à fabriquer ce qu'il est aujourd'hui, même si on aimerait qu'il sorte de la tyrannie de l'info pour retrouver un autre rythme et une autre histoire surtout. Car s'il "aime la mise en scène" à la radio, celle de ses matinales n'en comporte aucune. À moins de considérer que "siffler le départ des trains" en soit une. Et si Marc Voinchet prend un réel plaisir à réécouter Philippe Caloni (6) c'est sans doute qu'il a reconnu chez ce dernier une vraie façon de mise en scène… radio. "Caloni, le Bouteiller du matin… qui s'incarne dans la pâte d'une voix" dit Voinchet qui refait le film des matinales d'Inter avec cet anchorman exceptionnel.
Donc Voinchet nous a montré qu'il pouvait être agréable de l'écouter et même de le réécouter dans un tempo ralenti, au cours duquel il peut imiter Alain Veinstein et "laisser des blancs". Voire même de nous inciter à méditer "On n'écoute jamais si bien la radio que quand on ne l'écoute pas" (7). Le moment est venu ou le fruit est mûr pour l'inciter à retrouver une émission dans laquelle la mécanique horlogère n'aura pas sa place et où sa culture de la radio, de la variété et de la voix pourra trouver toute sa place (8).
Pour que cette séance soit mise en ligne sur Oufipo, il vous faudra attendre un peu, chers auditeurs. Elle sera mise en lien ici aussi dès parution.
(1) Ou "Le bout du monde", "Pen ar bed", en breton, qu'un certain Napoléon nomma Finistère,
(2) Pierre Codou et Jean Garretto co-producteurs et inventeurs de "l'Oreille en coin" sur France Inter (1968-1990),
(3) Pierre Bouteiller, journaliste, a fait presque toute sa carrière à Radio France comme producteur, directeur d'Inter et de France Musique(s),
(4) Euh, Marc Voinchet vous pourriez essayer de "jouer ça" dans vos matinales ?
(5) "On nagra, il enregistrera", de Paranthoën, 1987, diffusion dans les Ateliers de Création Radiophonique sur France Culture,
(6) Philippe Caloni, journaliste, 1940-2003, homme de radio et de la matinale de France Inter avec Gérard Courchel, du 6 décembre 1982 au 2 janvier 1987,
(7) NDLR : … tout en l'écoutant,
(8) La petite leçon sur "The Voice/Sinatra" en est un très bon exemple.
Un certain Caton/Hollande par Philippe Caloni,
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