Vas-y Carole
Dans son édito, Carole Pither, auteure et productrice (4), écrit "Il était une fois la radio parlait à ses auditeurs." Bam ! Mes chers auditeurs faites un petit bond en arrière et lisez le point de vue concomitant des auteurs. Pither conclut "Il faut surtout améliorer la qualité de l'offre. Croyez-moi si la radio investissait dans les voix elle retrouverait sa voie." On ne narrera pas ici l'invraisemblable histoire de cette chaîne qui avait du payer des cours d'orthophonie à cette productrice qui massacrait sa diction. On était très loin du concours de Pierre Bouteiller pour entrer à Europe n°1 et de Jean-Christophe Averty pour faire de son zozotement un art radiophonique.
Ce "Livre blanc", à la jolie tranche rouge, a le mérite de prendre le point de vue des auteur-e-s et de tourner autour pour essayer de brosser, à la rentrée radiophonique 2016, un état des lieux. Dès le premier chapitre il assène "les auteurs de documentaire n'arrivent pas à vivre de leur travail". Ça commence mal mais ça commence réaliste. Aussi réaliste que la position de la directrice de France Culture qui elle aussi assène "Je préfère 40 auteurs réguliers à 150 occasionnels". La messe est dite. Elle ajoute : "Depuis que je suis à la tête des programmes de France Culture je veille à ce que les auteurs producteurs fidèles puissent faire leurs heures d'intermittence. J'ai besoin de compter sur des gens pour faire de la radio."
Deux choses. "Je préfère 40 auteurs réguliers". Bigre ! Mais comment donc ont pu faire MM. Jaigu, Borzeix, Veinstein (5) pour, à la fois inventer les producteurs-tournants et surtout les fidéliser sur la longue durée ? "Fidèle" ? Combien de producteurs qui auraient tant aimé être fidèles se sont vus refuser des projets ? La notion de fidélité est donc ici tout à fait relative. Annonçant "La série documentaire" (6) Treiner précise "Partir pour un seul documentaire ce n'est pas raisonnable. On doit garantir l'emploi de l'argent public." (sic). Grotesque et superfétatoire. Pourvu que tous les auteurs de documentaire (d'un seul épisode), depuis le début des années 70, ne se voient pas dans l'obligation de rembourser l'argent public dûment gagné et dont les responsables n'auraient pas été comptables ! Quel délire ! Il y a d'autres façons de revendiquer un choix éditorial.
La radio, une sorte d'easy-listening
Kathleen Evin, productrice à France Inter a mal à sa radio. Quand elle est rentrée à Radio France en 1988, "la radio mettait ses moyens techniques à votre disposition" et constate que "c'était même une mission de cette radio : se créer son propre vivier de nouveaux talents." Et Evin, notant que "Radio France ne cesse de créer de nouveaux postes : à la communication, au marketing, au web" emploie le même mot que moi : "l'antenne est devenue une variable d'ajustement dans une période où l'on nous demande des économies". Variable d'ajustement ! Quand j'écrivais dans mon billet d'hier "Comme si tout à coup la fabrique de la radio devenait "accessoire". Et amère elle décrit "La radio ne sera plus bientôt qu'un petit événement non rentable dans ce lieu dédié à des activités bien plus rémunératrices."
C'était ça la mue. Celle qui s'installait après la mue du bâtiment. Faire table rase du passé et dans un lieu architectural exceptionnel, la Maison de la radio, faire défiler la mode. Dans des studios rénovés faire défiler la pub. Donner de cette Maison une toute autre image et laisser sans voix producteurs, réalisateurs et ingénieurs du son définitivement déchargés de faire (de) la radio. Ce qu'un auteur résume par "On est invisibles" (7). Et pour enfoncer le clou de la précarité "On est tout le temps en concurrence les uns avec les autres, [les auteurs, ndlr]. Personne ne se fait confiance. On ne peut pas discuter entre nous. Tout le monde a peur de se faire piquer ses idées et sa place de précaire." Et pire encore "Pour Radio France quand je suis payé pour six jours, ça correspond en fait à un mois de travail. Je fais du bénévolat pour Radio France." CQFD.
Le "mag-do" ou "venez comme vous… n'êtes plus"
Et l'auditeur "ignorant" de se régaler d'écouter confortablement sa radio publique sur tous les supports. S'il savait ! Et je vois enfin écrit ce qu'Alain Veinstein avait prédit dans "Radio Sauvage", "La radio dominée par l'information" au chapitre 6 de ce livre blanc. Et de lâcher le barbarisme "journalissisation". Burp ! "Ils ne veulent plus parler de documentaire ou de longs formats à France Inter mais de "magazine-documentaire". Ils ont même inventé le terme de "mag-do". Le collectif des Producteurs de Radio France (Docrf) s'insurge : "Nous croulons sous une information qui parle de tout et dans un temps toujours plus court. Dans ce concert frénétique ou le singulier, le rare, le sensible, le fouillé peinent à exister, comment pourrait-on se priver de l'oxygène offert par le documentaire radiophonique."
Grilles, cellules, chaînes
"Car voilà une autre explication du formatage de la radio, elle serait incapable d'assouplir sa grille de programmes et de penser d'autres formes que la forme horaire." D'autres s'y sont essayés et s'y sont cassés les dents. Jean Garretto directeur d'Inter (1983-1988) et ses "pleins et déliés" à l'image de ce qu'il avait testé à "L'oreille en coin" (8) avec son alter-ego Pierre Codou.
"Quand la radio sort de ses murs, quand la radio émet sans antenne, elle est joyeuse" peut-on lire page 44 de ce "Livre blanc". Comme Lebrun (Jean) sur les toits de Paris dans "Culture matin", Mermet "Là-bas si j'y suis", "Comme un bruit qui court" d'Antoine Chao, "Le Pays d'ici" , "La matinée des autres", "La série documentaire" sur France Culture. Quelques émissions passées et, quelques-unes toujours à l'antenne mais, les îlots d'"ailleurs" se font de plus en plus rares. La radio se confine dans les studios, s'aseptise et s'enferme dans la triple culture de l'Humoriste, de l'Invité et du Chroniqueur. Y'a comme un Hic !
"Il y a un monde où la radio peut se permettre de jouer de manière totalement décomplexée. Ce rêve de radio a reçu très vite des retours gratifiants de la part des auditeurs qui apprécient la liberté qu'on déploie chaque jour et qui découvrent de nouvelles manières d'écouter." dit Floriane Pochon (Phaune radio). Et elle conclut son long interview où, elle montre l'"imagin' on air" que se donne Phaune radio, par : "Ce qui compte, c'est de raconter un horizon, proche ou lointain, plausible ou improbable, minuscule ou immense, fragile ou puissant, apaisant ou dangereux, mais un horizon en mouvement."
N'est-ce pas la plus merveilleuse introduction à la radio de demain ? À celle qui reste à continuer d'inventer.
Le feuilleton "auteurs" a commencé ici
Cette journée de la Scam a donné lieu à la rédaction de 6 billets, dont :
• http://radiofanch.blogspot.fr/2017/03/la-radio-est-un-objet-oublie-des.html
• http://radiofanch.blogspot.fr/2017/03/la-radio-est-un-objet-oublie-des24.html
• http://radiofanch.blogspot.fr/2017/03/la-radio-est-un-objet-oublie-des25.html
• http://radiofanch.blogspot.fr/2017/04/quelle-place-pour-les-auteurs-radio-12.html
• http://radiofanch.blogspot.fr/2017/04/quelle-place-pour-les-auteurs-radio-22.html
(1) Société Civile des Auteurs Multimédia. Enquête et rédaction : Hervé Marchon,
(2) 1999 qui correspond à l'année où Jean-Marie Cavada est nommé Pdg de Radio France et nomme Laure Adler (France Culture), Jean-Luc Hees (France Inter), Pierre Bouteiller (France Musique), Patrick Pépin (France Bleu, à partir de 2000 et la création du réseau), Michel Polacco (France Info en 2002), Le Mouv' (Marc Garcia), [Fip, Dominique Pensec, depuis 1994 et jusqu'en 2010], ,
(3) Je parle ici de la radio publique,
(4) Présidente de la commission du répertoire sonore de la Scam,
(5) Jaigu et Borzeix, directeurs de France Culture. Veinstein coordinateur des "Nuits magnétiques" et de "Surpris par la nuit",
(6) Depuis la rentrée 2016, coordination de Perrine Kervran. J'ai eu l'occasion de montrer comment en "imposant" au même producteur quatre heures de documentaire, celui-ci peut ou non être en mesure de les réaliser quand, dans certains cas, il serait plus à même d'en réaliser une seule,
(7) "Le château de cartes économique des auteurs", page 17,
(8) "Les pleins et les déliés" s'installaient les après-midi de 13h30 à 19h, alternant formats longs, formats courts contre lesquels les barons de la chaîne s'étaient rebellés (Artur, Bouteiller, Chancel, Villers).
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