Exceptionnellement l'épisode de la série "68" du lundi est reporté à demain mardi…
Jeudi dernier, Madame Françoise Nyssen, Ministre de la Culture répondait, devant la Commission Culture du Sénat, aux questions des parlementaires sur deux sujets principaux : l'audiovisuel public, la culture. Je m'en suis tenu à suivre en direct ce qui concerne l'audiovisuel public, riche en annonces et perspectives d'évolution. La presse, dans les heures qui ont suivi, ne manqua pas de titrer sur la "fusion" de France Bleu et de France 3, comme si cette perspective venait juste de sortir du bois… de la rue de Varenne (1).
Et un jour "on" inventa "BBC à la française"
Souvent en France un bon titre, un slogan, une petite phrase, une idée passent mieux qu'un long discours et circulent sur quelque chemin qui mettra, toutefois, un certain temps avant de devenir un… boulevard. Avantage : l'"idée" fait florès et la presse en fait ses choux gras. Retour vers le futur. Acte 1, Alain Peyrefitte, ministre de l'information (1962-1966) du Général de Gaulle s'inspire du triptyque "BBC" (2). Acte 2, alors que le dégraissage de la "noble" institution anglaise est… en marche avec une diminution drastique des effectifs (3) différents députés de droite ont choisi ce modèle audiovisuel pour promouvoir une "BBC à la française". Franck Riester, député (Les Républicains) tire le premier dans le Figaro : "Il faut créer une BBC à la française, plurimédias et indépendante du pouvoir" (4).
MM. Beffara et Woerth, députés, dans leur rapport parlementaire sur "Le financement de l'audiovisuel public" (5) citent à nouveau la BBC comme modèle. Giscard, Président de la République (1974-1981), n'avait lui pas de modèle juste un dogme, briser les syndicats et les communistes qui, d'après lui, gangrenaient l'audiovisuel public radio et télé. En 1974, fossoyeur de feu-ORTF (6), il laisse la gestion des radios locales publiques à France Régions 3 (FR3) ce qui chagrine pour le moins, Madame Jacqueline Baudrier, Pdg de Radio France (1975-1981). Il faudra attendre 1982 (loi Filloux), pour que les radios "France Régions 3" intègrent Radio France sous la présidence de Jean-Noël Jeanneney.
Depuis 2015, Franck Riester (Les Républicains), lors d'auditions de la Commission "Culture" de l'Assemblée nationale, interpellera au moins à deux reprises le Pdg de Radio France, Mathieu Gallet, sur un rapprochement de France Bleu et France 3, sans que ce dernier n'ait jamais daigné lui répondre. En mars de la même année, M. Marc Schwartz, conseiller référendaire à la Cour des Comptes, remettait à Fleur Pellerin, Ministre de la Communication, son rapport sur l'avenir de France Télévisions, intitulé "Le chemin de l'ambition" (7). Les bases du rapprochement Radio France/France Télévisions sont posées.
Une fusée nommée… France Médias
Le "premier étage" de cette fusée s'appelle "franceinfo" chaîne publique d'information en continu qui a vu le jour le 1er septembre 2016 (8) et qui associe les moyens de Radio France, France Télévisions, l'Ina et France 24. Le "deuxième étage" sera la "fusion" - par palier - de France Bleu et France 3. Le 26 juillet, Mathieu Gallet enfile les perles devant la Commission "Culture" de l'Assemblée nationale avec son nouveau hochet le "mode-projet" "Aller vers des synergies FranceBleu/France3 où il y a dans des régions des projets qui pourraient se faire en commun." La méthode "tabula rasa" qui avait permis, en 2001, à Jean-Marie Cavada (Pdg de Radio France, 1999-2005) avec son "Plan Bleu" d'uniformiser les locales de Radio France est révolue. Passons à l'encerclement…
Quand il n'est pas autoritaire, M. Olivier Schrameck, Président du CSA joue les petits télégraphistes avec un zèle appuyé. En visite à Toulouse le 22 septembre il déclare au Monde "…il ne faut pas s’affranchir d’une réflexion sur la mutualisation dans la diffusion territoriale et les formes de coopération entre France Bleu et France 3. Les comités territoriaux de l’audiovisuel, qui dépendent du CSA, peuvent être un lieu d’échange" Le bal est ouvert, entrons dans la piste. Ce 26 octobre, Madame Nyssen, Ministre de la Culture, devant la représentation nationale n'a pas résisté à la valse en donnant comme exemple de synergies entre les deux opérateurs audiovisuels publics, "les locaux, les interviews…"
Les interviews ? Voilà donc que la Ministre, très bien épaulée par son directeur de cabinet, Marc Schwartz, va jusqu'à imaginer que les JRI (Journalistes Reporters d'Images) de France 3 pourraient muter en JRIR (Journalistes Reporters d'Images… Radio). On est pas loin de Peyrefitte décidant du contenu du journal télévisé (vidéo). Par cercles concentriques la "nasse" se referme. Ajoutons que si le projet audiovisuel d'Emmanuel Macron appelé France Médias créait le rapprochement en une seule entité de tout l'audiovisuel public on peut imaginer que la fusée ne tarderait pas à décoller. Il en sera alors fini des tentatives au coup par coup, en "modes-projets" des ex-Pdg Gallet (Radio France) et Ernotte (France Télévisions)…
Épilogue
La Cour des Comptes pourrait-elle chiffrer les coûts phénoménaux du caprice de Giscard qui depuis 42 ans a vu, pour l'audiovisuel public, se faire tout et n'importe quoi ? Avec à la clef une armée mexicaine de Pdg, directeurs de programmes, directeurs d'antenne, directeurs de l'information, directeurs du numérique, directeurs de la fiction, directeurs de la musique, directeurs éditoriaux, directeurs des jeux et variétés (9) : variété des directeurs de la (bonne ou mauvaise) direction…
(1) Siège du Ministère de la Culture à Paris,
(2) "Considérée comme la référence des systèmes audiovisuels publics, la British Broadcasting Corporation (BBC) est investie d’une triple mission fixée dès l’origine (1927) par son premier directeur général, John Reith : informer, éduquer, divertir. Un triptyque devenu, au fil des décennies, synonyme d’exigence et de qualité." Jean-Claude Sergeant, juillet 2008, in Le Monde Diplomatique. Merci à D.C. de m'avoir signalé cette source et à Madeleine Smiroux de m'avoir permis de le lire,
(3) "Dès octobre 2004, le directeur général [Mark Thomson] dévoilait son projet : une suppression étalée dans le temps de six mille des vingt-six mille emplois de la BBC, essentiellement dans les divisions d’appui — marketing, communication, affaires financières, ressources humaines.", article cité,
(4) 14 septembre, 2015, par Enguérand Renaud.
(5) 30 septembre 2015,
(6) Office de Radio et Télévision Française qui, par la loi 74-696 du 7 août 1974, verra sa dissolution et la création de sept sociétés indépendantes, dont Radio France,
(7) "Face aux défis à venir, et aux contraintes croissantes pesant sur les finances publiques, il paraît nécessaire que l'État pèse davantage sur le dispositif des médias de service public. Si tel n'était pas le cas, il sera difficile d'écarter la tentation d'un rapprochement organique entre les sociétés ayant appartenu jadis à la même entité (4). La structuration actuelle qui remonte à l'éclatement de l'ORTF, à une époque où radio et télévisions publiques disposaient d'un quasi monopole, peut en effet être interrogée, à l'âge de la convergence des médias, de la transition numérique et de l'élargissement de l'univers concurrentiel à des acteurs mondiaux venus d'Internet."
(8) Canal 27 de la TNT,
(9) Emplois assez rarement occupés par des femmes,
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