Maurice Clavel |
Monsieur Lebrun,
Il est à peine 14h02, ce 13 décembre 2017 et, je ne peux résister à prendre la plume (éléctronique), sans attendre, pour vous écrire à l'instar des spectateurs de télévision qui, nombreux le 13 décembre 1971, écrivaient à Maurice Clavel pour le soutenir aussitôt après sa sortie théâtrale sur le plateau télévisé de "À armes égales" qui l'avait vu clamer "Messieurs les censeurs, bonsoir".
Avec cette façon si particulière que vous avez de télescoper l'histoire (ici 1971 et 2017), si nous n'étions pas en période audiovisuelle troublée, je n'aurais peut être pas entendu, dès la première écoute de votre dernier épisode de "La marche de l'histoire" (1), qu'en creux vous ne manquiez pas d'être assez circonspect sur les enjeux d'un big-bang annoncé. Il m'est arrivé d'écrire qu'à la façon des chats vous savez observer, patiemment. Donner des coups de griffe, légers. Et ronronner quand vous êtes satisfait d'un bon mot. De tout ça vous avez bien raison d'en faire votre affaire.
De quoi s'agit-il donc aujourd'hui, au point que différant mes propres recherches d'archives, je ne résiste pas au plaisir de réécouter votre hommage délicat à Maurice Clavel ? L'écrivain, le journaliste, le philosophe qui, en 1971, n'a pas supporté que la télévision française, sous l'égide de l'ORTF (Office de Radio et Télévision Française), censure ne serait-ce qu'un mot de son reportage, "Le soulèvement de la vie", prétexte à un débat avec le maire de Tours, Jean Royer, bien connu pour son conservatisme aigüe et sa morale réactionnaire en bandoulière.
Le plateau de "À armes égales" |
Votre émission quotidienne peut souvent s'écouter en stéréo. On écoute avec attention votre invité, mais, depuis les temps immémoriaux où vous officiiez à France Culture, vous nous avez habitué à ne pas relâcher l'écoute quand vous prenez la parole. Que ce soit pour votre chapeau que vous soulevez en début d'émission ou pour ces phrases de liaison qui vous permettent de rappeler à votre invité qu'il va devoir être à la hauteur, non seulement de votre érudition, mais de votre façon d'aimer la joute orale à fleurets mouchetés. Cette conversation de bonne compagnie que chaque jour vous entretenez, pas sûr que la galaxie audiovisuelle publique sache en savourer les propos, trop occupée à ferrailler à son propre avenir.
"La brèche ouverte ce 13 décembre 1971 dans la télévision d’état - l’appareil idéologique d’état, disait le philosophe Althusser - ne sera pas aisément fermée. Trois ans après, Valéry Giscard d’Estaing, élu président, servira ses intérêts en faisant éclater le vieil ORTF qui avait placé l’ensemble de l’audiovisuel public sous le contrôle vétilleux du pouvoir.", dites-vous.
Rappel historique essentiel pour qui veut comprendre les méandres de l'audiovisuel public depuis 50 ans. "Vétilleux" ? Voilà un coup de griffe, subtilement donné. J'en appelle à Robert (Le petit). Vous êtes bien clément, Monsieur Lebrun, non seulement l'État s'attachait à des détails mais surtout ne supportait pas que la télévision (et la radio) puissent devenir un contre-pouvoir, voire un État dans l'État.
"Rassurez-vous, dites-vous à votre invité, on n'a pas trouvé beaucoup de traces [de l'événement Clavel, ndlr] dans les journaux de France Inter. Ce sont les bienfaits de l'organisation unique de l'audiovisuel public où la radio et la télévision sont solidaires." Hum, ceci est bien dans le ton du moment alors que le grand Mamamouchi prône le rapprochement inéluctable de France Télévisions et de Radio France. Ce n'est plus un coup de griffe, c'est le bond du chat sur la souris. On est presque chez Cyrano. "Je vous préviens, cher Macron, Qu'à la fin de l'envoi je touche !"
Pas sûr, non plus, que le grand ordonnateur du futur audiovisuel public, Marc Schwartz , l'entende de cette oreille (2). On ne remerciera jamais assez M. Clavel d'avoir répliqué à la censure et, à vous, M. Lebrun d'avoir, en un exercice de style savoureux, esquissé ce qui vous interroge sur ce big-bang audiovisuel, au moins aussi attendu que le résultat des élections présidentielles de 1981 ou celui de la Coupe du Monde de football 1998…
(1) France Inter, du lundi au vendredi, 13h30,
(2) Actuel directeur de cabinet de Madame Françoise Nyssen, Ministre de la Culture, auteur du rapport sur l'avenir de France Télévision intitulé "Le chemin de l'ambition", mars 2015.
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