La messe est dite ! Chaque matin dans le goulot d'étranglement de la fin de la matinale de France Inter, Sonia Devillers animatrice de L'Instant M (1) vient poser ce qui, pour elle, relève de l'instant média, parmi les milliards d'instants médias qui gravitent dans le monde. Pourquoi pas ? Une chronique de plus, une feuille de plus dans le mille feuilles d'une matinale qui empile les chroniques comme d'autres empilent les dossiers sur leur bureau jusqu'à ce que la pile s'écroule. Ici, c'est souvent l'auditeur qui s'écroule gavé de blabla jusqu'à l'écœurement total.
Mardi dernier (ayant été empêchée de chronique la veille pour cause de raout d'une spéciale présidentielle) Devillers veut absolument nous faire prendre conscience qu'un événement exceptionnel a eu lieu dimanche 9 janvier au 20h de TF1 ! Non ? Un média crée lui-même l'événement ? Ça alors ! Mais qui a donc révélé quoi dans la masse de "révélations" qui puisse à ce point être distingué au point qu' "En arrivant au boulot, on entendait : « T’as regardé TF1, hier soir ? ». La séquence de télé suivie massivement la veille, la télé qu’on fait spontanément revivre – pas le clash dégueulasse que personne n’aurait jamais vu si les réseaux sociaux ne l’avaient pas fait circuler – non, le moment de télé vu pour en vrai, émouvant pour de vrai, partagé pour de vrai" , dixit Devillers.Devillers n'aime rien tant que la TV qui rassemble, "comme au bon vieux temps", qui fasse communauté et qui soude un pays encore plus solide que lorsque ses habitants se rassemblent sur les ronds-points affublés de gilets jaunes. Et pour nous convaincre que "si je vous jure c'était un événement exceptionnel" elle décrit les images du-dit JT, sans jamais évoquer que ça puisse ressembler à un publi-reportage ou à une "grosse flaque de storytelling" comme l'évoque le journaliste de Libération.
Heureusement pour pareille fabrique on scrute ce qui peut s'en dire autour, même si Devilers assène : "jouer ainsi avec les codes du JT, c’est faire confiance au téléspectateur, à sa culture de l’image, à sa compréhension de l’information, à sa lucidité face à un artiste en promotion." Libération revient sur la chose, et bam, analyse le dit-phénomène : "Pour ce qui concerne la rédaction du journal du soir de TF1, en revanche, on s’interroge sur les raisons qui l’ont poussée à passer cette ligne rouge et à accepter le détournement de son sommaire au profit d’une opération marketing instrumentalisant ouvertement l’émission, altérant par là jusqu’à l’essence éditoriale de son programme et le sens profond de ses images." (2). Ce que pourtant Devillers fait ou essaye de faire régulièrement dans L'instant M en contextualisant et décryptant les images avec ses invités.
Encore mieux ! "Mais à l’heure où l’Education nationale doit consacrer une partie de l’enseignement au lycée à l’éducation aux médias et à l’information (EMC) pour aider les élèves à y voir un peu plus clair dans la jungle de l’information, on s’étonne que la principale réponse médiatique, médias professionnels et réseaux sociaux mêlés, soit la louange d’un historique «moment de télévision»." (2) Et là on se tape sur les cuisses. France inter qui depuis 2015 a initié "inter Class" (3) donne avec cette chronique un bel exemple de la fascination d'une de ses journalistes pour des images non analysées. Ni dans leur contexte, ni dans leur sens.
Merci aussi à la RTBF (Radio et Télévision Belge Francophone, média public) de nous avoir précisé que le moment chanson de Stromae avait été enregistré le samedi précédent "dans les conditions du direct", comme l'a d'ailleurs révélé Devillers dans son édito. Il fallait être aveugle ou innocent pour croire qu'au XXIe siècle un média aussi puissant que TF1 prendrait le risque en direct que le chanteur, la bande son ou une panne de micro vienne enrayer la belle mécanique qui fonctionne midi et soir à l'antenne.
Et puisque Sonia Devillers n'aime rien tant que la télé qui fait événement elle aurait du se souvenir (ou savoir) qu'en 1980, le 19 mars, à un an des Présidentielles, le chanteur Daniel Balavoine (4) avait apostrophé Mitterrand, sans chanter mais en lui ouvrant les yeux sur la jeunesse qui déchantait. Le journaliste qui présentait le journal n'a pas pu faire mieux que de laisser les protagonistes du débat, s'exprimer. Balavoine n'avait rien à vendre, juste exprimer de façon sincère et révoltée le malaise des jeunes. On est très loin du beau lissage d'expression de Stromae et encore plus de la roucoule de Devillers qui, avec cette éditorial, nous prend pour des pommes !
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