C'est un coup au cœur. Un concentré de temps suspendu. Une comète de Haley. Ce dimanche d'août 1997, sans strictement rien faire d'autre, écouter le long documentaire de Marie-Paule Vettes "Les gens du bout du monde"(1). De se taire longtemps après et s'endormir dessus. Puis au matin se demander où on est, d'où on est (naît) et d'avoir absolument conscience que le temps s'est arrêté et que, là, tout de suite, avec ce petit bout de papier griffonné pendant l'écoute, on va partir faire le chemin à l'envers, attraper ces bouts de monde et ces humanités lumineuses et tranquilles.
Dans le Lot… |
Si, ce dimanche-là, j'avais écouté France Culture c'est ce que j'aurais ressenti. Un choc. Le même que ce mardi 4 janvier. L'émotion intacte d'entendre une époque, un ton, un temps de vivre que la radio savait rendre dans le temps long. Des silences et des mots. Avec les gens d'ici. Les gens de là. Des inconnus singuliers. Vivants. Sensibles à leur bout de monde à eux. Des vies banales et tellement riches. Et des petites lumières qui brillent partout. Au fond des vallées, sur les plateaux, aux embruns, aux marais, aux collines, aux cachettes, aux sous-bois, dans les flaques, au soleil ou sous la pluie. Vivants comme ces onze personnages croisés par Marie-Paule Vettes et Jean-Claude Loiseau (réal).
J'ai choisi au fil de l'eau et au fil de l'écoute de vous raconter la complicité immédiate que crée Marie-Paule Vettes avec ses auditeurs. Quand, avec tant de délicatesse, elle affleure les vies qu'elle a choisies de nous faire partager. C'est quoi cette magie qui vous pénètre des oreilles au cœur et qui, comme un chien à l'arrêt, vous empêche de faire quoi que ce soit d'autre ? Tendu à l'extrême. Dans l'histoire. Dans la radio. Avec.
Avec ce juge dans le Périgord vert que l'on regarde intensément. Sa voix bouleversante, son histoire banale et poignante. Sa façon très douce de poser les choses. Sur le fil, Marie-Paule Vettes qui l'aide à tisser, à faire récit. Qui nous incite à écouter chaque mot, chaque respiration, chaque silence. On frissonne. Et on se demande comment le minuscule peut à ce point nous bouleverser ? Toucher à notre mémoire, notre histoire. Notre intime. Nous faire toucher ces arbres, ces agneaux. Retenir notre souffle. Et puis, lentement, faire chemin jusqu'au silence.
Dans le Quercy |
Avec Myette et Jean-Pierre dans le Lot, écrivains et contemplatifs. Là où "les murets de pierres sèches s'appellent aussi les bibliothèques du Lot". Et où Jean-Pierre n'a pas "l'impression de se perdre mais de se gagner". Et cette formule nous met en bouche pour savourer leur histoire simple et tranquille. "Quand on vit au bout du monde on cherche la proximité avec soi-même, avec l'arbre, avec les rafales de vent dans cet arbre, avec ses lichens particuliers, avec cet insecte phasme, avec ces fleurs, avec ces couleurs, avec ces formes, avec ces pierres… Cette extrémité du monde elle est d'abord en soi-même". Alors comment ne pas mettre sur "pause" et laisser aller sa pensée ? (2)
Avec Paul dans l'odeur du buis chaud au soleil (Quercy). "Pour vivre à distance il faut être atypique". Voilà de quoi avoir de la répartie quand "la terre entière" se demande pourquoi vous avez fait le choix d'habiter… là ! Et quand on part avec Yves dans le pays Blanc (Guérande, Batz) et qu'on connaît le goût du sel et des marais, on est un peu comme chez soi. Et les mots entendus prennent d'autres couleurs surtout s'ils évoquent une époque (1975) où s'installer paludier relevait d'une utopie : croire que le sel naturel et sa fleur ("Y'en a pas d'autre") pourraient encore rivaliser avec le sel industriel !
Altier en Lozère |
Avec Lucien et Berthe, d'Altier (Lozère) faire le grand saut géographique et le grand saut temporel. Comme si ici rien n'avait bougé depuis lurette. En avant, l'homme et son accent profond rocailleux et, sa femme moins en voix, toujours derrière la sienne. En arrière-plan sans doute comme dans la vie, pour ces gens nés tout au début du XXème siècle. Berthe en 1917 dans le village même où elle réside encore en 1997. Ils ont passé leur vie là "sans bouger". "Toute ma vie je me suis levé de bon matin… Et quand on sait pas quoi faire on regarde le paysage." On le voit Lucien, stature et force de caractère. Paisible et paysan. Volontaire et résigné.
J'ai beau ne pas connaître la Lozère j'ai quelque chose avec ce pays là. Quelque chose de sensible et d'ancré (3). Et puis quelquefois, venant de là, quelques mots… L'émotion s'accroche, un peu comme si j'y étais. Une belle nuit d'été, sur le fil de la complicité. Voilà aussi ce que remue un documentaire qui dépasse le simple récit.
Marie-Paule Vettes et son réalisateur Jean-Claude Loiseau font bien plus que de nous faire voyager. Ils nous transportent d'humanités en humanités. Et nous font toucher du doigt (du cœur) quelques morceaux de vie singuliers, dispersés du nord au sud et de l'est à l'ouest. Chacun dans son bout, chacun dans son tout. Précieux. Un peu cachés, un peu secrets. Cette façon de faire crée un lien indéfectible avec la radio. Tant que ce sera de la radio…
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