Pour que ça soit excitant, pour que ça donne de l'air, pour que ça chamboule tout, "du passé faisons table rase". C'est l'état d'esprit, il y a dix ans, de quelques geeks en mal d'aventures qui, se rêvant en Steve Jobs ou Bill Gates, décident de casser le moule de la radio et de "tout réinventer" sur la base de l'audio. Production, fabrication, formats, délinéarisation, détemporalisation. Et, à la manière d'un La Fontaine, psalmodier "Adieu programmes, chaînes, équipes de réalisation et structuration horizontale et fédérative dans une, dans la Maison de la radio". Presque cent ans de radio "dynamités, dispersés, ventilés, éparpillés façon puzzle, (1).
Au début ça bricole et ça bidouille. Aussi, quand sort du bois le podcast, les rapaces s'en emparent pour mieux illustrer la transformation numérique. Nouveau credo civilisationnel. L'Alpha et l'Omega du changement, du progrès et de la casse systématique des vieux modèles, des savoir-faire et de la chaîne de production radiophonique. Les nouveaux gourous, de ce qu'ils appellent la mue, ont trouvé un hochet, un objet transitionnel parfait, une icône à vénérer : le podcast. La boîte de Pandore est ouverte, elle est pas prête de se refermer.
Pour bien asseoir le support on lui attribue une fonction dévote. Le podcast parlerait à l'oreille de l'auditrice et de l'auditeur (2). Et la foule en délire de se ruer sur la chose, de ne plus jurer que par elle et de plonger dans une addiction pour laquelle on n'a pas encore cherché de remède. La pandémie est mondiale. Le podcast est le nouveau chewing-gum. On mâche, on mâche et à la fin on jette. Entre les podcasts natifs (adjectif superfétatoire), ceux de la radio publique, de la radio privée et ceux des studios indépendants, on croule sous la charge. L'offre est pléthorique. Envahissante. Pour ne pas dire polluante.
Au coin du bois, un vieux gourou du consumérisme et de la pub aliénante guette "Si à 50 ans t'as pas fait de podcast, t'as raté ta vie" (3). Le pape, que dis-je le-mentor-de-la-transformation-numérique-à-tout-va à Radio France, le dénommé Laurent Frisch a imposé de transformer en podcasts - ce qui s'appelle encore pour quelques minutes, des émissions - ces supports qui peuvent s'écouter sur tous objets connectés (4), H24, sans plus aucune contrainte temporelle. Bingo ! Maintenant si tu t'aventures à parler d'émissions t'es fiché au Grand Auditisme et tu risques d'en perdre l'ouïe… à vie. Avis à la population !
Ce long préambule (si, c'était un préambule) pour montrer comment ce "principe éditorial" (du siècle) vient salement d'être écorné, pour ne pas dire torpillé.
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Philippe Collin |
Les faits
Un ancien p'tit rigolo ("Panique au Mangin Palace" avec un autre humoriste, Xavier Mauduit, France Inter, 2005/2010) et aussi avec, quelques jolies tournures verbales ("La bande à Bonnaud", France Inter, 2006/2007…) Philippe Collin, producteur à France inter, après quelques traversées du désert, se souvient qu'il a une maîtrise d'histoire et qu'il pourrait donc assouvir une de ses passions. Proposer de conter les riches heures de personnages historiques. Pêle-mêle : Cléopatre, Pétain, Blum, Poutine et dernier en date Le Pen (Jean-Marie).
Trop sympa ! Vous avez une idée. Frisch valide. "C'est bon ça Coco, l'histoire croustillante, ça plait !". On peut faire, deux, sept, douze épisodes, ça passe crème. Alors qu'autrefois il y avait non seulement des jours (ou des nuits) de diffusion, des formats et des balises sur la durée dans le temps (toute la saison radiophonique, un trimestre, un mois, etc). Collin après ses diverses tentatives est sacré Maréchal… de l'histoire et là, toutes les portes (et les financements qui vont avec) s'ouvrent. Tournée promo qui passe par Quotidien et Jean-Marie Le Pen n'a plus qu'à bien se tenir.
Tout ça c'était avant le drame… Car voilà que des historiens, patentés, mettent le nez (lire, l'oreille) dans la série. Et un propos de Benjamin Stora, historien, ne passe pas, mais ne passe pas du tout (5). Je n'ai pas les compétences pour juger de cette "affaire". Surpris toutefois de l'assertion de Stora, pour ce que j'en sais de l'Histoire. Mais ce qui m'intéresse c'est de montrer comment le podcast, devenu la référence (le label) audio par excellence, pourrait s'affranchir de toutes règles de validation. Existe-il à Radio France un Comité éditorial pour décider des sujets à podcaster ? Existe-t-il à Radio France un Comité scientifique pour valider et choisir les intervenants, les angles, les références historiques (et/ou scientifiques), les travaux publiés quand, des podcasts traitant d'histoire ou de sciences sont programmés pour être créés ? Ou est-ce le seul fait de la productrice, du producteur ou du grand Manitou Frisch ?
Cette opacité interroge et, quant à la suite de cet incident, Radio France traine des pieds pour apporter les mises au point suffisantes (se contentant de rustines audio), les excuses indispensables et les ajouts utiles, on est alors en droit de s'inquiéter d'un éditorial enfermé dans la forme (le podcast), libéré de toutes les règles en vigueur. Quand il s'agirait, pour l'Histoire ou les Sciences, de ne surtout pas s'affranchir de ces mêmes règles. Le podcast, sacralisé, serait devenu intouchable. Il en va pourtant de l'éthique même de Radio France comme quand, pour ce qui concerne l'information (et les fake-news), la société de radiodiffusion publique a mis en place des procédures de validation et de confirmation de toutes les sources possibles à plusieurs niveaux.
Les programmes, particulièrement quand ils concernent l'histoire et l'actualité récentes ne devraient pas échapper, eux mêmes, à ces procédures rigoureuses !
(1) Merci à Michel Audiard et ses dialogues des "Tontons flingueurs" de Georges Lautner (1963),
(2) Le tambour, la cloche, le chant, le chien qui aboie, la caravane qui passe, le flux et le reflux de la mer, le vent, le tonnerre, le chant des oiseaux et une palanquée de ratons-laveurs en rut doivent donc parler ailleurs au corps humain. Genre, sans doute, "Parle à mon cul, ma tête est malade"…
(3) Rappel pour nos jeunes lecteurs : Jacques Séguéla, publiciste décérébré a, au milieu des années 90, vomi une prédiction slogan "Si à 50 ans, on a pas de Rolex on a raté sa vie" (2009)",
(4) De fait même sur la lunette des cabinets !
(5) Épisode 2, sur les actes de torture pendant la guerre d'Algérie. Vous pourrez trouver le détail des alertes, sur le compte Twitter d'André Loez, historien et, particulièrement, ce qui a été relevé à l'origine de l'interpellation des historien-nes ici.
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