lundi 11 mars 2019

Archives radio… Radio-archives

J'ai du arrêter l'écoute de l'une des rediffusions des "Nuits de France Culture" pour m'atteler à ce billet dont les profondeurs pourraient être abyssales tant il y a à dire (et à écouter) sur les archives de la radio publique. Je l'ai écrit souvent et même avec une certaine constance. Mais il faut bien dire qu'excepté France Culture et Philippe Garbit, son formidable coordinateur des "Nuits" (1), écouter des archives à la radio dans la perspective d'une "Radio Archives" flotte dans les limbes du… passé.

Lise Caldaguès responsable des archives radio
de la phonothèque ORTF, en 1964.




















Suite à la consultation des Françaises et des Français sur l'avenir de la radio et la télévision publique (et les réponses de 127 000 d'entre eux) avez-vous entendu au cours de la restitution parler d'archives ? Moi non. À Radio France Il faut croire que pour les petits génies du "tout numérique" les archives n'ont rien d'excitant, quand leurs yeux et leurs oreilles ne sont tournés que vers le futur immédiat : demain. Alors hier, pensez ! Le patrimoine, la création radiophonique, la transmission du savoir tout ça c'est bon pour les discours et le vernis. À Radio France, à ma connaissance, personne n'a pris ce dossier en main qui pourtant va dans le sens même de l'histoire. 

Pourtant quelques mois après la création des "Nuits" sur France Culture, Claire Chancel crée en 1987 "Radio archives" (jusqu'à la rentrée 1999). Une heure au cours de laquelle la productrice s'efface (par son ton et ses interventions a minima) pour redonner à entendre différentes archives "disparates" sur un thème donné. En les recontextualisant et les éditorialisant. Ici le peintre Cézanne en 1996. Qui pourrait dire alors qu'on est dans le passé ? On est dans le présent le plus absolu de la découverte, de la connaissance, de la transmission. En quoi la rediffusion de documents sonores serait-elle moins actuelle que des créations récentes ? Comment l'une et l'autre ne sont-elles pas complémentaires et utiles au savoir et au plaisir de connaître ?

Je ne peux pas complètement affirmer, n'ayant qu'une seule source, que Claire Chancel s'est démenée à Radio France et à l'Ina pour élaborer cette "Radio archives" qui de fait restera sans suite. La loi de 1974 qui formalise l'éclatement de l'ORTF en sept sociétés distinctes, dont Radio France et l'Ina, impose de façon absurde à Radio France de devoir payer à l'Ina la diffusion des archives qu'elle a de fait créées en étant à l'origine de la production et de la diffusion des documents sonores. Ce volume financier des coûts de rediffusion est budgété par chacune des chaînes du service public qui rediffuse les dites-archives.

La 4L de l'Ina devant le siège à Bry-sur-Marne en 1978
Archives !!!! of course
















Une réunion (pas deux) a bien existé il y a plus de dix ans au plus haut niveau des deux sociétés pour envisager là encore une ébauche de ce qui aurait pu devenir une "Radio Archives". Sans suite. Pourtant un jour un petit génie ou une grande passionnée va monter sur la table et remuer ciel et terre pour mettre en œuvre ce qui aurait du exister dès les années 70 pour la mise en valeur du patrimoine radiophonique. Et là comme par hasard d'anciens ténors ou de futurs cadors diront comment ils y avaient pensé depuis longtemps… (mais sans jamais s'en donner les moyens ou chercher à s'en donner les moyens).

Pourtant écouter des archives c'est faire vivre la radio et lui reconnaître son fantastique pouvoir de mémoire et de… mémorisation. Écouter des archives, pour moi, c'est aussi retrouver des voix entendues il y a quelques mois ou quelques années et qui sont souvent indissociables du sujet traité ou en découvrir d'autres qui s'inscrivent dans notre propre histoire. Celle de la radio et celle de la vie. Vous l'entendrez dans l'archive des "20 ans des greniers", Karine Le Bail, sa productrice sur France Musique, le dit très bien "Le temps de l'écoute est un temps de patience. Il faut savoir prendre le temps". Et une société de radiodiffusion et une société d'archives devraient absolument nous inciter à ralentir et à (re)découvrir tout ce qui nous est passé à côté !

Quand Karine Le Bail ajoute "(les archives permettent de) retraverser la mémoire par la voix" on ne peut qu'applaudir des deux mains. Oui la mémoire de la voix nous permet, nous incite, nous "impose" de retraverser et de conserver les histoires, les faits et leurs "musiques". Les archives ce sont souvent des émotion comme ouvrir un album photo ou regarder un vieux film Super8 de ses grands-parents. C'est le plaisir de réécouter un indicatif, une annonce et un sujet connu ou inconnu. C'est un état particulier d'écoute. Un moment choisi et intime. Un genre de petite madeleine avec ou sans Proust (2).

"J'ai un rêve"… Si jamais la nouvelle loi audiovisuelle rassemble en une seule entité les sociétés de l'audiovisuel public, il n'y aura sans doute plus lieu que Radio France rétribue l'Ina pour ses archives. Mieux ces deux sociétés pourront, sans se sentir concurrentes, élaborer et mettre en ligne et/ou en hertzien cette "Radio archives". Bien sûr il s'agira d'éditorialiser et de contextualiser la matière à rediffuser. Archives que quelques pionniers comme Claire Chancel, François Régis-Barbry, Karine Le Bail, Janine Marc-Pezet (3) ou Philippe Garbit ont su "imposer/proposer" à l'antenne avec la foi et la conviction de faire œuvre radiophonique à part entière. 

28 juin 2015



4 novembre 1989


(1) Jean-Marie Borzeix directeur de France Culture (1984-1997) a créé les Nuits le 1er janvier 1985. Jacques Fayet en était le producteur. A suivi Geneviève Ladouès, en 1998. Philippe Garbit en est le producteur depuis décembre 2001,

(2) Seulement voilà quand on sent qu'une émission d'archives touche à sa fin on voudrait ralentir absolument le temps, rester encore dans l'histoire. Les voix vont s'effacer, celles de celles et ceux qui racontent, celles de ceux et celles qui font raconter. Leur petite musique va se fondre dans le cosmos des ondes. Le silence est alors le seul sas possible pour retourner lentement à une vie entourée d'autres sons, d'autres histoires, d'autres silences,

(3) Petit clin d'œil à Janine Marc-Pezet qui a démarré sa carrière à la Phonothèque de l'Ina au service des producteurs de Radio France puis, créé par Jean-Marie Cavada, Pdg de Radio France, responsable de "L'atelier Mémoires" au service de toutes les chaînes du groupe public. En interne elle s'est battue pour que de nombreuses émissions d'Inter soient conservées et archivées avant que ça ne devienne bien des années après systématique. En tant que co-productrice elle a fait les belles heures de nombreuses émissions de France Inter.

1 commentaire:

  1. Les hasards de la technique bloquent quelque fois l'envoi de commentaire… Ci-dessous le commentaire de Janine Marc-Pezet qu'elle m'a fait parvenir par mail :
    "Merci Fanch pour cet éclairage sur les archives et sur ton travail en
    général ... Le travail sur et avec les archives est une tâche passionnante
    et ingrate car pas reconnue à sa juste valeur au niveau des productions ..
    pour preuve les rémunérations des émissions à base d'archives qui sont
    estimées au même titre qu'un magazine de direct avec une table d'invités...
    Les grandes années de l'utilisation et de la valorisation des archives radio
    ont été les années 80/90, toutes chaines confondues. Les documentalistes de
    l'INA faisaient équipe avec les productions des antennes. De nos jours les
    bases INA sont venues faciliter les recherches ... Peut être qu'un jour
    proche un jeune curieux aura envie de remettre son nez dans les vieux
    fichiers en bois et d'en extraire les fiches cartonnées qui sentent si bon.
    Et s'il tend l'oreille, pourquoi pas, entendre toutes ces voix célèbres,
    ou pas, disparues qui font la richesse de notre fonds radio."
    Janine Marc-Pezet

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