D'île en île ç'eût été facile de venir en voisin te saluer… J'aurais été aussi timide que lorsque j'ai rencontré Glenmor dans son antre du côté de Rostrenen il y a bien une quarantaine d'années. Lui le barde, moi le freluquet. Je n'aurai, Yann, rien eu à te dire tant j'aurai voulu que tu racontes. Tout. L'île grande. Ton arrivée à Paris. La Maison de la radio. Le son. Les courses cyclistes. Le Tour de France (1). Paris-Roubaix…
Paris-Roubaix on y est. Et c'est à toi que je pense plus qu'aux cyclistes. Plus qu'aux pavés. Plus qu'à la foule. J'entends le son. Celui que tu as fixé pour toujours dans cette fresque en roue libre : "Yvon, Maurice et les autres… et Alexandre ou la victoire de Bernard Hinault dans Paris-Roubaix 1981" (2). C'est comme ça, avec le son je crois que c'est plus fort que les images pour la mémoire. Mais ça je n'aurais jamais osé l'affirmer devant toi.
Je ne m'intéresse au vélo que pour sa ferveur populaire et sa symbolique de libération. Je vais relire Roland Barthes (3). Toi, Yann, tu as participé magnifiquement à la mythologie de la Petite Reine avec tes impressions sur Hinault et sur Vincent Lavenu. Et maintenant je suis accro à ces deux courses. Sans doute encore comme un gamin quand, avec les copains, on faisait dans le sable d'interminables Tour de France et qu'on se prenait tous pour le vainqueur du moment.
Yann, je vais imaginer aujourd'hui être près de toi (sans te gêner) pour regarder et comprendre comment le son, les sons, les voix, les bruits et les silences faisaient ta palette impressionniste. Par défaut, je vais regarder des images puisque la radio qui s'agenouille devant la TV n'est pas foutue capable de nous proposer un "reportage-documentaire" qui mobiliserait les savoirs-faire de Radio France !
Pendant que je t'écris ton ancien opérateur (devenu lui aussi un seigneur du son), Guy Senaux, m'a téléphoné et nous avons évoqué ensemble "le son en voie de disparition"… Là je sais que tu aurais beaucoup de choses à dire… Allez, a ch'entañ gwell, Yann, et bonjour aux étoiles…
(1) "Le tour de France 1989 de Vincent Lavenu, dossard 157",
(2) La version courte de 45' remporta le Prix Italia en 1982,
(3) «Je crois que le Tour est le meilleur exemple que nous ayons jamais rencontré d’un mythe total, donc ambigu ; le Tour est à la fois un mythe d’expression et un mythe de projection, réaliste et utopique tout en même temps. Le Tour exprime et libère les Français à travers une fable unique où les impostures traditionnelles (psychologie des essences, morale du combat, hiérarchie des surhommes et des domestiques) se mêlent à des formes d’intérêt positif, à l’image utopique d’un monde qui cherche obstinément à se réconcilier par le spectacle d’une clarté totale des rapports entre l’homme, les hommes et la Nature. Ce qui est vicié dans le Tour, c’est la base, les mobiles économiques, le profit ultime de l’épreuve, générateur d’alibis idéologiques. Ceci n’empêche pas le Tour d’être un fait national fascinant, dans la mesure où l’épopée exprime ce moment fragile de l’Histoire où l’homme, même maladroit, dupé, à travers des fables impures, prévoit tout de même à sa façon une adéquation parfaite entre lui, la communauté et l’univers", in "Mythologies", Le Seuil, 1957,
a ch'entañ gwell : à la prochaine fois…
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