mardi 26 janvier 2021

Louis Dandrel : un pirate à France Musique…(s) !

Louis Dandrel est mort vendredi dernier. Il est des noms qui ne s'oublient pas. Il est un homme qui, en deux années aux commandes de France Musique (1975-1977), aura sublimé les musiques et les façons de les faire vivre, les transmettre et les écouter. Radio France n'a pas un an quand, après six mois de préparation pour former ses équipes et inventer une chaîne, Louis Dandrel installe une grille dont il se veut être le rédacteur-en-chef ! Tout un symbole quand la plupart du temps "directrice/directeur" fait tant rêver ! Il dégoupille le conformisme (bien-pensant), il tire le tapis du salon (bourgeois), il renouvelle l'atmosphère. En ouvrant portes, fenêtres, vasistas et autres lucarnes qui semblaient à jamais condamnés sur une chaîne qui n'avait pourtant que douze ans d'âge !

Logo de 1975










Que ce soit clair, je n'étais pas auditeur de ce France-Musique, nouveau et génial ! Mais âge aidant et passion inassouvie pour les archives, comme pour l'histoire de la radio, m'ont permis de comprendre comment Dandrel, merveilleux pirate au grand cœur, avait pu l'espace d'un "instant" bousculer conventions, formalismes, habitudes et autres camisoles qui ne demandaient qu'à être libérées. Et pourtant ! Giscard, fossoyeur de feu-l'ORTF (loi d'août 1974) régnait en maître absolu sur une France qui voulait, malgré tout, pousser plus loin les tentatives de liberté et de création de 68 ou de Lip (73).

À réécouter la "Mythologie de poche" de Louis Dandrel (1) on comprend (mais un peu tard, en ce qui me concerne, même si je l'ai écoutée en 2011) comment et pourquoi le fantastique trublion a été sommé de déguerpir par la bien-pensance bourgeoise et réactionnaire en cour à l'Élysée. En plus de bousculer les codes de l'écriture radiophonique conventionnelle, il a donné ses lettres de noblesse au pluralisme musical le plus intégral. "L’aventure musicale était permanente, se déroulant comme une vague changeante toute la journée." note Yves Riesel dans son article (voir lien ci-dessous).

Ses grilles de programmes, souples et modulables, étaient truffées d'"imagination au pouvoir". Qu'on en juge ; Philippe Caloni (Musique Matin), Lucien Malson (Second souffle/Jazz), Jean-Pierre Lentin (Écoute et La route des jongleurs), Pierre Latès (Non écrites), Alain Gerber (Amen), Philippe Koechlin (Carnet de bal), Jacques Erwan (Chanson),… (2). Ajoutez à ça l'ouverture aux amateurs, aux musiques du monde, à la chanson, au rock,… C'est un festival permanent en prise avec la société, avec les pratiques musicales, en décloisonnant genres et chapelles, élitisme et populaire, savants et autodidactes !

Il faut lire le formidable article d'Yves Riesel qui, bien documenté et sourcé, revient sur un parcours radiophonique exceptionnel et vibrant ! L'avis péremptoire de Sartre porte à sourire (heureusement comme Dandrel le révèle lui-même dans l'émission ci-dessous, Sartre a largement regretté son point de vue… hâtif). Celui d'Attali est assez visionnaire et porteur d'espoir même si, passé l'euphorie de la fin du monopole de radio-télévision, Mitterrand et ses gouvernements ont baissé les bras ou baissé le ton, c'est selon.

Mais ce qui fait tâche et désarçonne, c'est hier matin sur France Musique les mots de son innommable directeur. On se pince et on serait tenté d'hurler à la forfaiture. Le France Musique d'aujourd'hui n'a rien, mais absolument rien du France Musique de Dandrel. Citer trois ou quatre émissions actuelles ne légitime en rien la filiation ! La posture indigne adoptée est une imposture. Il faudrait pouvoir écouter sur la page qui rend compte du décès de Dandrel, la "Mythologie" pour bien mesurer l'écart, le gouffre, l'abysse qui séparent 1975 de 2021. Mais ça les auditeurs n'y auront pas droit. Quarante six ans de renoncements ont (re)plongé France Musique dans une acception étroite de la musique (classique), enfermé le jazz aux heures de retour de bureau et passé toutes les autres musiques par pertes et profits (3). Il n'y a bien que Pierre Bouteiller (directeur de la chaîne,1999-2004) qui avait ajouté un "s" à France Musique, qui aurait pu se revendiquer de l'esprit de Dandrel ! 

Dandrel fut une comète, un phare, une étoile… filante et, surtout, un homme de radio. Un vrai !

(1) Par Thomas Baumgartner, France Culture, 15 août 2011,
(2) Je cite ici quelques noms qui me parlent dont certains sont restésaprès le départ de Dandrel,
(3) Ce ne sont pas "Ciné Tempo", "Tour de chant" ou "Repassez-moi le standard" qui à eux seuls peuvent combler le vide autour de la chanson, du rock, du folk qu'ils soient francophones ou mondial. Et je ne dis rien de la musique contemporaine…

"L'écho des pavanes", RTS, "Louis Dandrel, "Cousteau du son" par David Christoffel, 
27 janv. 2020,

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