En délinéarisant la radio on a coupé le cordon. La continuité de l’écoute : has been ou, dit autrement, «plus du tout dans l’air du temps» (1). Pourtant, hier matin sur Inter, Alex Vizorek, moqueur, continue d’affirmer que la matinale tire les audiences de toute la chaîne ! Ah bon ?Toute la journée donc ? Ce n'est plus une locomotive, dont le principe même est la linéarité, c’est une fusée. Mais comment est-ce possible ? L’émission de 12h30 serait dopée par la matinale, comme celle de 20h10 ? Et puis, puisque tout peut s’écouter hors flux, voire avant le flux, ça sert à quoi de contraindre les animatrices et les animateurs de faire la passe à l’émission… suivante ? Dans ce tourbillon intemporel la promotion de l'émission d'après n'a plus aucun sens !
"Un média de service public n’est pas fait pour l’audience mais pour remplir des missions qui sont de faire vivre des valeurs de démocratie, de culture et de création." Jean-Paul Philippot, administrateur général de la RTBF (Radio Télévision Belge Francophone)
mercredi 20 janvier 2021
On a coupé le cordon avec la radio…
Et le tempo, il est où ? Cette petite musique du jour (et autrefois de nuit) que des chefs d’orchestre (les responsables de programme) composaient et dirigeaient de «main de maître», avec du matin au soir un tempo ou, plus précisément des tempos (ou tempi) en cascades dans chacune des émissions ? Pierre Wiehn, directeur d'Inter 1973-1981, parle d'"écriture musicale" et, de fait, cet homme de radio a écrit de très belles partitions !
Je me souviens d’un ingé-son qui m’affirmait que telle personne qui intervenait sur la grille le matin avait une voix pour le soir (2) ! Une voix pour le soir ? Oups ! Mais qui se pose cette question aujourd’hui quand c’est l’image (la notoriété) et, la reconnaissance télé-visuelle qui priment sur tout ? Surtout. La voix ? Quintessence même de la radio elle n’est plus «tendance», hardiment remplacée par une formule, un concept-valise, l’audio, qui lui, permettrait toutes les audaces jusqu’à passer, par pertes et profits, le service public radiophonique. En mettant sur l’autel de la gloire, le graal absolu : une plateforme… sans forme.
Sans la forme de la Maison ronde, sans la forme circulaire des couloirs, des liaisons, sans la forme circulaire des ondes qui nous font tourner la tête. Mon manège à moi c’est toi : la radio ! La radio c'est une maison, visible, imaginable une caverne d’Ali baba rutilante et majestueuse. Un vaisseau royal sur l’océan audiovisuel ! Mais ce sera quoi l’imaginaire d’une plateforme ? Une forme plate ! Soit l’exact contraire d’une maison ronde. Et pas que symboliquement.
Je ne me lasserai jamais de constater la faillite de la radio de flux, savamment programmée et orchestrée par ces «petits génies» de la fragmentation, camelots de petits bouts, flagorneurs de vedettes. Petits bouts d’infos, petits bouts de musique, petit bouts d’humour qui, mis bout à bout, feront bien plate forme.
Henry Bernard, l’inventeur-architecte de la Maison ronde, embrassait son bâtiment et donnait à tourner autour des ondes dans un mouvement ample, singulier, pluriel (3). Avec des interactions à tous les étages. Puis, venues de nulle part, quelques tristes figures ont inventé, en même temps, le cloisonnement (des chaînes entre-elles) et l’open space ! Une farce actuelle, elle, bien dans l’air du temps. La matinale d’Inter ne tire rien du tout. Elle donne et renforce une image de marque. Elle sanctifie ses animateurs. Elle stigmatise une chaîne généraliste dans une de ses spécificités : l’info. C’est un morceau, un bout, pas un tout.
Une chaîne, comme son nom l’indique, ce sont des maillons. Isolés des maillons ne font pas chaîne. Mais pourtant, la rupture des chaînes c'est bien ce qui a présidé à la mue de la radio publique. Ses auteurs-fossoyeurs, sans vision globale d'un tout, d'un média qu’ils n’écoutent et n'ont jamais écouté dans sa globalité, plastronnent avec leur culture insatiable du chiffre.
Laissons passer l’eau sous les ponts et sous… la plateforme. Reviendra bien le temps de la radio. Celle de la longue durée temporelle, du jour et de la nuit ! Vingt quatre heures sur vingt quatre !
(1) La radio a perdu en 2020, deux millions d'auditeurs !
(2) Le même Pierre Wiehn se souvient de sa première rencontre avec Macha Béranger, venu lui présenter des tas d'idées d'émissions. Wiehn a aussitôt apprécié sa voix et lui a proposé l'émission de nuit, "Allo Macha" qui a fait sa renommée et celle de la chaîne,
(3) En mai et juin 68, chaque jour vers 13h, le personnel de l'ORTF tournait physiquement autour de cette maison dans une grande chaîne humaine qu'ils avaient appelé "Opération Jéricho".
Bonus
Hier, au téléphone, Pierre Wiehn me raconte : "Étudiant à Bordeaux, après guerre, pour notre journal étudiant ("Bordeaux Universités") je suis chargé d'aller "voir " la radio à Paris. J'ai pas le moindre sou pour me payer le voyage. Des amis font une cagnotte ! Arrivé à Paris je reste dormir dans le wagon. Au matin, je file au 116 bis av. des Champs-Élysées, un des studios de la RTF. Je pousse la porte, personne pour me barrer l'entrée. Arrivé à l'étage, Samy Simon, journaliste sportif, me demande ce que je fais là. Il m'accompagne dans l'antre de "Paris vous parle". À l'époque les speakers ont disparu et ce sont les journalistes et les animateurs qui incarnent les textes qu'ils écrivent. Je fais la connaissance de plusieurs d'entre eux, mais pas de Pierre Desgraupes qui fait partie de l'équipe. Je finirai par le rencontrer en 68. Il m'appellera à ses côtés à Antenne 2 en 1981…"
"Paris vous parle", Route de nuit, 12 septembre 1958, (avec l'ancêtre du radio-guidage ultra-personnalisé !)
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Bonjour-Je recommande "Les Nuits du bout des Ondes" histoire de la radio nocturne en France de 1945 à 2013, de Marine Beccarelli, paru aux éditions de l'INA en 2014. Mais, peut-être en avez vous donné recension en son temps ? J'ai alors manqué le billet, mais , merci pour tous vos billets.
RépondreSupprimerBonsoir Jean ! eh oui j'en ai causé ;-) https://radiofanch.blogspot.com/2014/11/qui-dit-que-les-nuits-etaient-faites.html
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