Nous sommes le 12 avril 1981 dans 14 jours ce sera le premier tour de l'élection présidentielle. Le Nord bat au rythme du Paris-Roubaix, 79ème du nom. Il y a 25 ans qu'un français n'a pas gagné (Louison Bobet). Bernard Hinault, champion du monde et deux fois vainqueur du Tour de France, est sur toutes les lèvres françaises. La politique est en sommeil même si les prétendants à l'investiture suprême courent encore de préaux d'école en salles des fêtes.
Claude Giovannetti (réalisatrice) et Yann Paranthoën (ingénieur du son) pour France Culture sont au départ. Ça tourne ! Pas de fioriture, de superflu, l'essentiel du son. On est tout de suite dans la course. Dans l'ambiance festive d'un dimanche de printemps. Les voix techniques de la course, les voix des spectateurs, les voix des coureurs. les superpositions sont justes. C'était le génie de Paranthoën, recréer le réel tout en l'inventant. Par son montage subtil et "palpable". On a l'impression de toucher le son, d'en être pénétré sans agressivité même aux moments les plus aigus.
Se superpose aussi la narration de l'itinéraire. Sobre, présente, devant, derrière. En contrepoint. En fil rouge. En peloton qui se dévide. La ferveur populaire croise l'organisation rigoureuse de la course, ses aléas, ses chutes, ses drames. L'enfer du Nord se rapproche. Louison Bobet dernier coureur français a avoir gagné l'épreuve, sur le parcours est ému. Il pense à son pays Hinault, breton comme lui. Et puis la bonne idée de Paranthoën c'est de capter les langues du cyclisme des reporters italiens, néerlandais ou autres. C'est faire défiler en stéréo la voiture des directeurs de course, Jacques Godet et Félix Lévitan. C'est recueillir le témoignage à chaud du docteur Porte. C'est donner à entendre les techniciens les préparateurs des cadres et des roues de secours. C'est entendre l'incontournable speaker du Tour de France Daniel Mangeas qui officie aussi sur Paris-Roubaix. C'est condenser en 50 mn une course gagnée en 6h26'07".
C'est réussir a attraper le caractère brutal du Blaireau qui scande "J'ai pas demandé à gagner Paris-Roubaix cette année. C'est au cours de la course que je verrai". Et les reporters et journalistes sportifs qui rédigent leur papier pour le lendemain. "Hinault un prophète barbouillé de boue". "Hinault au paradis". "Hinault entre dans la légende". Et les techniciens qui écoutent les résultats dans la voiture : "Ça nous prend à la gorge et on sait bientôt pas parler, quoi !". "L'espace d'un instant, l'enfer du Nord avait pris des allures de paradis", Philippe Ramette.
Le résultat pour Hinault était important. Mais pour Giovanetti et Paranthoën l'important c'était de raconter la course pas juste l'exploit sportif et le déroulé chronologique de l'épreuve. Tout ce qui se passe en même temps, autour, à côté. Différents points de vue et de fait différents points d'écoute. Une vraie création radiophonique qui donne envie de la réécouter plusieurs fois pour en entendre toutes les richesses.
C'est grâce à Abou Diouf et à Sa nuit rêvée (1) que nous avons pu réentendre "Yvon, Maurice et les autres… Alexandre ou la victoire de Bernard Hinault dans Paris-Roubaix 1981" Prix Italia la même année. Marc Floriot, producteur de cette nuit, présente d'une belle façon le reportage "Trois rubans pour cette course : un granitier (les pavés), un magnétique (bande du Nagra), un en caoutchouc (la chambre à air)"
(1) Nuit de samedi 21 à dimanche 22 janvier 2012,
Tôt ce matin j'ai entendu Roland Barthes (nuit rêvée de Michel Braudeau), je l'ai reconnu tout de suite à ses intonations rêveuses.
RépondreSupprimerQui dans ses Mythologies a écrit : "Le Tour de France comme épopée"… Bien entendu, bien vu ! Merci
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