lundi 30 mars 2015

Reprendre… Reprendre quoi ? Pourquoi ?

Boîte à outils de grève radiophonique © Arnaud Contreras




























Vendredi dernier une productrice à Radio France disait avoir eu une boule au ventre avant de prendre la décision de faire grève. Quelques jours auparavant une autre imaginait les ravages de cette grève sur la fidélité des auditeurs et comment ils fuyaient à la concurrence. Dans les deux cas l'arrêt de la production s'il perturbe l'auditeur, il perturbe de fait le producteur. Mais comment faire grève, comment informer les auditeurs, comment ne pas perturber la production ? La quadrature du cercle. Insoluble. Imparable. 

Ce temps suspendu, tendu, éprouvant pour les acteurs comme pour les auditeurs n'est-il pas le passage obligé pour que les tutelles sortent de leur cynisme ? Pour que le Pdg s'engage et défende l'entreprise qui le paye pour remplir sa mission de service public. Comment se fait-il que les négociations se soient interrompues samedi avant 1h du matin ? La fin de semaine que d'aucuns appellent le week-end a ici un goût amer pour ceux qui sont sur le fil d'un avenir très incertain, d'un attentisme insupportable, d'un mépris des plus hautes autorités de l'État pour l'audiovisuel public de radiodiffusion.

N'est-il pas venu le temps d'une médiation ? Le temps pour les syndicats de journalistes de s'engager auprès de ceux qui font la radio (1) ? Le temps pour les producteurs et les techniciens de trouver une forme de diffusion ponctuelle qui respecte le droit de grève et permette aux auditeurs de ne pas perdre le fil ? Le temps pour les auditeurs d'arrêter de vanter le ruban musical d'Inter quand toute l'année ils peuvent écouter celui de Fip ? Le temps pour les auditeurs de suivre l'initiative de #FipToujours qui coordonne les auditeurs vigilants à la survie et au développement de leur chaîne musicale ?

Que dans son émission dominicale "Le supplément" Canal+ invite hier Patrick Cohen à nous faire part de ses états d'âme sur le mouvement social qui agite Radio France montre bien à quel point les journalistes média ont une vision étroite pour ne pas dire très étriquée d'un mouvement qui, au-delà des effets sur la diffusion des programmes, est un vrai mouvement sociétal qui de fait leur échappe totalement. Habitués à simplifier et à rétrécir le champ des possibles, ils doivent sûrement attendre l'oracle qui les décillera.


Un pas de plus et je vous fais entendre la Radiodiffusion française





















Philippe Meyer dans sa Tribune au Monde vendredi dernier a parfaitement brossé le tableau (2) "Le premier de tous [les défis pour Radio France] est de demeurer un service public dans un monde où l’on fait bon marché de l’intérêt général, dans un domaine, celui de l’audiovisuel, où la spécificité des programmes proposés par les sociétés nationales n’a fait qu’aller en s’érodant, et dans un secteur d’activité, celui de la culture, d’autant plus difficile à faire vivre qu’il est devenu une auberge espagnole en même temps qu’une variable d’ajustement budgétaire."

Quant aux journalistes qui, pour situer les enjeux de la grève, ne savent qu'agiter le chiffon Médiamétrie qui stigmatisera en avril les audiences en chute des chaînes de Radio France, on mesure parfaitement leur médiocrité et le peu de cas qu'ils peuvent faire du service public audiovisuel.

L'État ne semble plus vouloir s'engager pour les services publics, les intellectuels non plus pour rappeler le sens et l'histoire de la radio publique. Les sociétés d'artistes, cinéastes, comédiens soutiennent le mouvement et devraient prochainement en faire la manifestation. Les musiciens seraient inspirés eux aussi d'en faire vite autant. Tant la radio publique sert leur diffusion et leur promotion. O tempora, o mores, le 8 décembre 1984, 200 000 jeunes descendaient dans la rue pour défendre NRJ. Combien seront-ils (avec leurs parents) trente ans plus tard pour défendre Radio France ?

(1) À titre individuel plusieurs journalistes de plusieurs rédactions de Radio France (dont France Bleu) sont en grève,
(2) "Il faut stopper la dérive de Radio France", Le Monde 27 mars 2015,



Le Reportage d'Abdelhak El Idrissi et Eric Chaverou de France Culture, ici.

8 commentaires:

  1. Bonjour,
    Un grand merci pour vos posts, je vous ai répondu sur Twitter mais ici c'est quand même plus facile avec plus de 140 caractères.
    Je fais partie des innombrables auditeurs qui adorent votre travail (France Cu surtout mais aussi FIP et Inter) mais qui souffrent car tester Europe 1, c'est dur. Vous me direz, c'est en dormant sous la tente qu'on se rappelle de la chance qu'on a d'avoir un lit en dur avec un sommier...
    Bref, écouter Radio France, c'est super mais c'est impliquant, forcément. Et donc, quand cette radio est en grève, on se renseigne, on tente de comprendre. Et en surfant largement sur les sites alternatifs aux "leszauditeurssontprizenotages", je n'ai guère trouvé de réponses convaincantes à une longue grève. Car votre grève est longue (en 36, c'était 3 semaines, hein).
    Je vous donne mon modeste retour d'auditeur fidèle: oui, ce chantier est grotesque, oui, refaire son bureau pour 100k€, c'est débile, oui il faut conserver des moyens. Mais si Gallet veut réduire à terme de 50 millions d'Euros le coût de fonctionnement toutes choses égales par ailleurs, il a mon plein soutien. Il y a un écart considérable entre gérer au mieux un budget et basculer dans l'ultra-libéralisme rentable.
    Et donc: faire des économies, externaliser le ménage chez Radio France, c'est une très bonne idée pour donner plus de moyens au service public, et un devoir dû aux auditeurs.

    Encore un grand merci pour vos posts.

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    1. Externaliser le ménage pour faire des économies (même si ce modèle est efficace, encore faudrait-il le prouver) n'est pas digne, il me semble, d'une entreprise de service public. Faire des économies sur le dos des plus modestes participe d'un modèle économique ultra-libéral. Si on suit votre logique, jusqu'où pourrait-on aller? Il y a d'une certaine manière une forme d'utilité sociale à intégrer les plus modestes à l'entreprise et non à les laisser dans la précarité des boites d'intérim. berk!

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    2. Bonsoir à tous,
      Je réponds au premier "Anonyme" de cette page ! Que ce soit clair je ne suis pas salarié de Radio France et réalise ce blog de façon indépendante !
      Merci de bien vouloir d'une façon générale à tous les commentateurs de signer leurs commentaires.

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  2. Voilà un commentaire de quelqu'un qui n'est pas femme/homme de ménage !
    Refusez l'externalisation, c'est refuser le dumping social. Il n'y a pas que dans les délocalisations que ça se joue, mais tout simplement dans le dumping de convention collective et de statut. A qui le tour la prochaine fois ? La solidarité est un devoir dû à TOUS les travailleurs indispensables pour faire fonctionner une radio (ménage inclus).
    Je suis un auditeur, pas un consommateur.

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  3. Au bout d'un moment, on fini par retrouver le fil... Et c'est avec plaisir, enthousiasme et conviction que je lis et écoute, sur le net les développements de cette grève.
    Auditrice fidèle de France Culture depuis que France Inter a pris le virage du "divertissement" a tout va et de FIP depuis qu'elle m'a semblé en danger. Un peu désœuvrée depuis une dizaine de jours, forcement...
    Je vous soutiens, je suis convaincue que beaucoup vous soutiennent et que les auditeurs ne changeront pas de radio sous prétexte que vous vous battez pour notre service public. Nous saurons vous attendre et sommes prêts a nous mobiliser parce que vous etes notre espace de liberté, d'information, d'instruction, de connaissance, d'ouverture. Vous etes notre espace de rêve et de poésie... entre autre... Sachez nous dire ou et quand vous aurez besoin de nous, en chair et en os, tous ensemble!
    Courage et merci!

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  4. Cher Anonyme ;)
    à titre de simple réflexion personnelle, je me permets d'écrire quelques mots à votre suite car si pour partie je partage vos vues (j'adore moi aussi le travail remarquable -et n'en doutons pas, remarqué- de notre ami Fañch), je pense que la grève de Radio France est peut-être encore plus légitime qu'elle le fut jamais en d'autres époques -je mesure le poids des mots- car ici il s'agit bien d'une croisée des chemins pour les habitants de la planète ronde du 116, quai Kennedy. Les participants aux AG ne s'y trompent pas : les restructurations voulues d'en haut sont une véritable casse du Service Public de Radiodiffusion avec à terme la possible disparition d'une ou plusieurs radios ou leur fusion ce qui revient au même et bien d'autres joyeusetés (cf de nombreux billets dans ces colonnes). Moi aussi je souffre de ne pas trouver "mon" France Inter sur les 87.8 Mhz de la FM sur Paris mais j'approuve pourtant à 100 % le mouvement revendicatif. Ce dernier n'est dénigré que par des journalistes nantis (tous ne le sont pas) et indifférents car sautant opportunément d'une structure à l'autre quand nécessité s'en fait sentir ou par la concurrence qui voit là l'occasion d'imposer comme une norme sa vision commerciale de la radio. Leurs "explications" quant aux motifs de la grève ne peuvent donc être que tendancieux, voire mensongers. Par ailleurs, n'ayant eu aucun écho à ce sujet je ne sache pas que le personnel de ménage de la Maison de la Radio ait en quoi que ce soit démérité et je ne vois donc pas pourquoi il faudrait s'en séparer -avec toutes les conséquences pour les intéressés- et externaliser ses tâches auprès d'un prestataire indépendant. Les économies ne doivent pas se faire au détriment des plus modestes.

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  5. Brigitte de Lyon (BF)31 mars 2015 à 01:08

    Bonsoir,

    Ce qui se passe à Radio France évoque tant de choses qui se passent dans plein d'autres services publics depuis plusieurs années.

    L'externalisation des personnels d'entretien. On retrouve cela partout. Cela semble, pour les dirigeants, une baguette magique pour faire diminuer la masse salariale.

    Cette fameuse diminution de la masse salariale, objectif majeur des dirigeants et des tutelles (Ministères notamment) qui finit par devenir une véritable obsession et tous les moyens sont bons jusqu'au ridicule : cela devient prioritaire sur l'activité qui est la mission de service public (selon le cas : radio publique, enseignement supérieur public, hôpitaux, etc.).
    Les services publics sont vus maintenant comme des administrations pures alors que l'administration d'un organisme public est un moyen pas une fin : la radio publique est là pour remplir sa mission de radio publique, sa finalité n'est pas d'avoir des comptes équilibrés ou pire d'être rentable mais bien de remplir une mission publique.
    Bien sûr il est important qu'elle soit bien gérée, que l'argent public sont bien utilisé, que les personnels aient une fonction utile et efficace, bien sûr il faut que les structures évoluent et que les compétences des personnels s'accroissent pour s'adapter aux évolutions. Sans doute à Radio France, les évolutions techniques et la numérisation de ces dernières années permettent d'avoir moins besoin de personnels par exemple en studio car beaucoup de choses sont informatisées maintenant. Les personnels peuvent donc être employés à d'autres fonctions pour mieux remplir la mission de service public et faire évoluer les activités pour répondre aux besoins de la société d'aujourd'hui et anticiper ceux de demain.

    Avec la masse salariale, un autre terme qu'adorent les dirigeants : la GPRH (gestion prévisionnelle des ressources humaines), GPE(E)C (gestion prévisionnelles des emplois des effectifs et des compétences), et autres variantes. Si cela était réellement mis en place on ne se retrouverait pas aujourd'hui avec un tel décalage entre les compétences des agents publics et les besoins d'aujourd'hui faute d'anticipation, de vision, de projets, de formations adaptées, etc. Et des agents publics qui vivent des situations incompréhensibles, dévalorisantes jusqu'aux troubles psychosociaux, et donc ne peuvent plus être efficaces dans leur métier, ne peuvent plus être tourné vers l'avenir.
    A force de réorganisations, beaux organigrammes en couleurs concoctés par des dirigeants qui ne connaissent rien aux métiers, et qui au prochain dirigeant, 3-4 ans après, seront de nouveau remodelés pour faire tout autrement sans que cela ait plus de sens pour les personnels. La structure pour laquelle ils travaillent finit par se réduire à des titres et des cases en couleurs empilées d'une façon ou d'une autre au gré des changements de direction et des nouvelles lois qui sortent constamment.
    (à suivre)

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  6. (suite :)
    En général, il y a bien longtemps que, dans beaucoup de structures publiques, le personnel d'entretien fonctionnaire qui part à la retraite n'est pas remplacé par un fonctionnaire ni même pas un agent public non titulaire mais par l'embauche de personnels en situation précaire : statut de TUC, CAE et autres contrats dit "aidés" (financé donc en partie par l'Etat !) qui ont changés de nom au fil des décennies . Ce sont des contrats temporaires, à temps partiels, sur le tout premier niveau de rémunération (soit de l'autre de 500 €/ mois puisque mi-temps) donc insuffisant pour vivre. De plus il s'agit de contrats de droit privé, et donc contrairement aux CDD classiques (agent public non titulaire) ne sont pas reconnus pour donner le droit de passer des concours "internes", les concours leur permettraient d'avoir un statut pérene.

    Pas mal d'organismes publics sont passés à l'externalisation donc emploient le service d'entreprises privées de nettoyage.
    Il s'agit d'achat de prestations, donc pour un organisme public cela veut dire utiliser les procédures de marchés publics pour mettre les entreprises en concurrence. Ces procédures sont longues, couteuses en temps de travail de fonctionnaires de services marchés très spécialisés pour la mise en place puis le suivi.
    Le prix étant un critères de choix important, les entreprises pour obtenir le marché cassent les prix et une fois retenues, embauchent des personnels dans des conditions souvent précaires et avec des rémunérations très basse pour pouvoir faire des bénéfices. Le personnel peut motivé et souvent peu qualifié travaille mal, le service rendu n'est pas bon et les locaux publics mal entretenus n'accueillent pas le public dans de bonnes conditions.
    Et l'argent public dépensé sert à des entreprises privés pour accroitre leurs bénéfices.
    Même si la masse salariale diminue à court terme, les frais engagés à la place ne sont pas négligeables !
    Si on externalise les personnels d'entretien, pourquoi pas les autres fonctions dites "supports" : l'informatique, l'entretien des bâtiments et espaces verts, la gestion de la comptabilité, la gestion des personnels, etc. Et pourquoi par la Direction ???

    Espérons que personnels et auditeurs de Radio France, par leurs mobilisations et leurs actions, fassent évoluer les choses dans un meilleur sens ; ce sera utile pour la mission de radio publique mais aussi pour toutes les autres structures publiques qui sont toutes très malmenées depuis plusieurs années.

    Brigitte de Lyon

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