lundi 10 février 2020

Pitch, Patch, Putch…



Le pitch
Il y a quelques jours je vais chez la banquière qui gère ma fortune (de mer) pour solliciter un prêt d'accession à la propriété de quelques fariboles pour rendre plus agréable ma petite cour (avec fenêtre). Quelques centaines d'euros. Une misère. À peine ai-je salué la gente dame et m'être assis sur une chaise en paille (il n'y avait rien d'autre pour s'asseoir dans cet établissement bancaire rural) que celle-ci (la banquière, pas la chaise) me dit goguenarde. "Faites-moi le pitch"… Je feins d'abord de mal entendre et lui fis répéter son injonction pour le moins surprenante dans un établissement rural avec sa part de maritime. Elle réitéra : "Faites-moi le pitch". Bigre, me dis-je, le pitre je sais faire mais le pitch pour un prêt bancaire ? 

Je m'exécutais sans coup férir et enveloppais le tout de jolis mots qui séduisirent la dame au point qu'elle me dit, non sans y mettre un peu de taquinerie, "Vous devriez faire du théâtre". "Mince, que je lui dis, j'aurais tant aimé (Jacquet) faire de la radio". "Faites les deux ! Du théâtre à la radio (là)". Mes yeux étincelèrent tellement qu'elle jugea utile d'éteindre la lampe. "Et pour mon prêt ?" fis-je la voix tremblante. "Je vous l'accorde sur le champ". Je ne vous cache pas que j'aurais préféré qu'elle me l'accorda sur mon compte mais je compris assez vite que "sur le champ" était une expression populaire qui collait parfaitement au blase de l'établissement… bancaire. Voilà pour le pitch.
  • "Si nous regardons d’un point de vue sociologique le dispositif proposé pour cet "appel à pitcher" (à l'occasion du Festival Longueur d'Ondes 2020), en analysant simplement les rapports de classe au sein d’un monde particulier de travail, nous avons d’un côté une arène constituée d’auteur.es individualisé.es devant présenter chacun.e dans une forme contrainte leurs projets devant un comité de producteur.trices, représentant les employeur.ses. Dans ce comité, il n’y a qu’une seule classe sociale représentée, le rapport de domination présent dans les procédés de production déjà existants est tout simplement reproduit. Et se trouve encore amplifié à l’occasion d’un festival, où la communauté sonore francophone se retrouve chaque année." (Benoît Bories, in Faïdos sonore, 2020)



Le patch
Quelques jours plus tard, tout ragaillardi d'avoir enjolivé ma cour, je pris rendez-vous chez notre bon médecin de famille qui ne devrait plus tarder à prendre sa retraite (aux flambeaux). Affable, prenant de mes nouvelles et moi des siennes (de famille) je lui annonçais assez vite que mon addiction à l'écriture commençait à perturber mes nuits et quelques fois mes jours. S'enquérissant sur mon écriture et, lui ayant révélé que c'était sur la radio, il pouffa ! Mais pouffa d'une façon si grossière qu'il me vit dans l'obligation de m'enquérir à mon tour du pourquoi de tant d'hilarité.

Il m'avoua que j'étais sûrement de la race des Mohicans et, peut-être même le dernier à écrire sur un média en voix (sic) lui-même de disparition. Pour me permettre de continuer d'écouter la radio sans que ça déclenche chez moi une frénésie d'écriture, il me proposa de tester un patch mis au point par la société Pédiamétrie capable d'interagir avec la pensée et de se connecter instantanément à une source sonore qui me proposerait un programme radiophonique ad hoc (mais pas que sur le poisson). Après m'avoir appliqué le patch de la taille d'une carte SD il me demanda de prononcer un mot.

"Galet", fis-je triomphant, me rappelant qu'il n'en manquait pas à la grève. Le doc monta le son d'une source sonore (invisible à l'œil nu) qui, instantanément, nous fit entendre les dernières minutes d'un ex-Pdg de la radio publique avant son départ en exil, suite à sa révocation. Je fis grise mine. Le bon toubib s'en aperçu. "Vous n'êtes pas convaincu ?" "Pardi Lulu, si à chaque fois que je prononce un mot ambigu il me narre par le menu ce que j'ai déjà autrefois entendu, où va-t-on Léon ? " Je luis rendis son patch et m'éclipsais promptement. Pédiamétrie devrait revoir sa copie.



Le putch
"Ce mot ! Comme vous y allez", entendis-je dans la foule compacte des aficionados béats. Et pourquoi pas "chienlit" tant que vous y êtes ! Vous vous prenez pour le Général ? (1) À Brest, Il y a quelques jours, lors d'un festival, quelques trublions en joie (et en colère) sont venus, off, pimenter l'installation. Il y avait à entendre ces bonnes choses sonores, puis, alentours, comme venu de très loin ce grondement profond, ce cri, ces cris pour la cause de la parole libre, de la radio libre. De la liberté d'émettre, sur tous les tons. De tendre le micro dehors - tous les dehors -. Sortir du dedans. Du dedans de la ronde. Du dedans de la comédie du spectacle (permanent) et de la société qui va avec. Sortir et…entrer dans la danse. Prendre le temps (et l'espace). Changer de ton. Donner de la voix. Prendre les voix multiples de la rage. Celles de la poésie douce comme celles de la violente. Un chant. Des chants. Le champ libre… 

et, en contrepoint, Pablo, Une chanson désespérée, à la mesure d'un peuple.

C’est l’heure de partir, c’est l’heure dure et froide
que la nuit toujours fixe à la suite des heures.
La mer fait aux rochers sa ceinture de bruit.
Froide l’étoile monte et noir l’oiseau émigre.
Abandonné comme les quais dans le matin.
Et seule dans mes mains se tord l’ombre tremblante.

(1) Le mot du Président-Général de Gaulle, en 1968, pour qualifier les "événements".

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire