©
Janneth Rodriguez, arles, 1999
|
Je
m'avance lentement dans le livre de Christian Rosset (1). Et, j'ai beau
aller lentement, je me dis que ce Rosset a finement observé et rendu
compte du personnage Paranthoën. On dirait qu'il a les mots exacts qui
collent, à la fois au personnage de Yann et à ses sons. Sans
doute aussi aux silences de son vivant. Après la mort de l'inseigneur, Rosset, comme les auditeurs est face à un autre silence "qui pour redevenir habitable, devait être le contraire du vide
: grouiller d'éléments fantasques, comme des anticorps, luttant,
troublant ce vide par ruminations, rires et pleurs, soupirs et cris de
rage…" (1) Rosset est bouleversé, mais Rosset transcende la
disparition et poursuivra sa quête autour des silences de Yann
Paranthoën. Yann qui continuera à vivre aux replis des mots, aux replis
d'autres sons et des mémoires individuelles et collectives. "L'esprit
de Yann continuait son tour sans fin, par étapes
d'apparitions-disparitions, tel un revenant, habitant spectralement ce
silence ("ce qu'on continue d'appeler le silence au singulier alors
qu'il y a bien plus de formes de silence que d'êtres sur cette planète")
(1).
"Un
taiseux parmi les meilleurs interviewers de l'histoire de la radio,
voilà de quoi rendre jaloux les animateurs bavards et trop sûrs d'eux
pour savoir saisir au vol, comme le fait Paranthoën, les événements les
plus discrets, les plus insaisissables, les plus irréductibles du
monde." (1) La belle affaire, mais qui pourrait bien vous entendre,
M. Rosset, aujourd'hui que le bavardage est devenu la matière
principale de ce qui s'écoute sur les ondes ?
En avançant dans son récit, Rosset dresse les contours de ce qui a constitué la légende (c'est lui qui choisit l'italique) Paranthoën "…intervenant physiquement à toutes les étapes, [que] Paranthoën a réussi à obtenir ce statut rare, en radiophonie, d'artiste pur et dur."
Et Rosset d'en profiter pour donner une définition des Ateliers de
Création Radiophonique de France Culture (page 24), où Yann Paranthoën a
pu commencer à se faire un nom quand tant d'autres sont restés
inconnus.
"…
certaines fulgurations sonores intempestives (mais qui peuvent rester
discrètes, comme des lueurs lointaines : souffles, chuchotements, trames
subliminales) ont le pouvoir de sortir de sa torpeur l'auditeur collé à
son poste." Rosset me pardonnera de profiter de cet avis technique
pour dire combien aujourd'hui la torpeur gagne, quand on écoute la radio, collé à son poste ou bien devant un écran. S'installe un ronron
permanent, sur la même fréquence (sic) et avec si peu de modulation.
Voilà
je me suis laissé emporter par le récit de Christian Rosset. Je crois
comprendre ce qu'il écrit pour avoir beaucoup écouté la radio et, depuis
plus de dix ans, fréquenté quelques-uns de ses acteurs. Il fallait que
"tout ça" soit écrit et j'aurais envie de dire qu'il faudrait maintenant
que "tout ça" soit lu. Et pas que par les auditeurs. Non, aussi par les
nouveaux producteurs et surtout les directeurs de chaîne ou de
programme. Pour, dans la fuite du temps, en surmultipliée, "remettre les pendules à l'heure".
"Mais
pratiquer un art du temps, surtout si on se risque à inventer, c'est
aussi tenter de rendre toute mesure, sinon impossible, du moins
incertaine, donc faire oublier le temps des horloges, faire perdre le
sens de la durée et ainsi entraîner l'auditeur dans un monde où une
fraction de seconde peut contenir une éternité de sensations, où deux ou
trois heures peuvent passer sans qu'on ait le moindre désir de jeter un
coup d'œil, même furtif, sur sa montre : on ne doit plus porter
attention au battement du temps."
(à suivre)
(1) Yann Paranthoën, "L'art de la radio", sous la direction de Christian Rosset, Phonurgia nova éditions, Arles, 2009,
Le texte le plus bouleversant de ce recueil est à mon avis celui de Yann-Fanch Kemener tout empreint de poésie et qui sait dire si bien le regret de l'absent.
RépondreSupprimerJ'ai parcouru un jour les grèves de l'Ile-Grande avec mon petit matériel de prise de son (rien à voir avec le couple Schoeps et le Nagra de YP ).
Je réécoute parfois ces sons de mer et de cris d'enfants, cette mer "toujours recommencée" si loin de celle de Paul Valéry en pensant au grand absent que je n'ai jamais rencontré sauf sur les ondes. Peut-être que le blues est né un jour en Bretagne et qu'on ne nous en a jamais rien dit?
Merci Jakki pour cette belle évocation qui m'inspire une virée d'été chez le Yann avec quelque bon matériel pour reprendre encore un peu de son, comme on reprendrait bien une bonne bolée de cidre. Le blues de Bretagne s'appelle la gwerz et après Kemener il faudrait demander à Cochevelou de créer une nouvelle symphonie pour le son. Tout cela semble de l'ordre du possible. Nous en reparlerons.
Supprimer