© AFP, fin des années 70 |
À rebours du politiquement correct, Arthur Conte, premier Pdg de l'Office de Radio et Télévision Française (ORTF) est décédé le 26 décembre. Ce nom je l'avais dans l'oreille sans connaître ni le personnage ni son histoire. Interpellé sur Twitter par l'Institut National de l'Audiovisuel j'ai commencé par aller regarder "L'homme en question" (1). Cette émission de France Région 3 est très masculine : son titre, son producteur, ses intervenants (2). Arthur Conte est à son affaire à la télévision, attachant, truculent même quelque fois, malgré ses retenues farouches de paysan catalan, maniant le verbe avec une belle aisance et nous faisant profiter d'un vocabulaire raffiné. En cette fin d'année 77 l'ORTF n'est plus et a été "remplacée" par sept sociétés indépendantes (3) dont FR3. Vient le tour de Jacques Sallebert d'interroger Conte. Pillaudin lui passe la parole sans le présenter (4). Sallebert interpelle immédiatement Conte sur sa présidence de l'ORTF. Conte se délecte à répondre mais ne dira pas pourquoi il a dû démissionner le 23 octobre 1973 (5).
Aucun des présents ne le lui demande ni même n'y fait allusion. Or le plus cocasse de l'affaire c'est que c'est à "cause" de Jacques Sallebert qu'Arthur Conte a choisi de démissionner refusant une pression d'un conseiller de l'Élysée qui l'enjoignait à se séparer du directeur de la radio (1970-1974) au sein de l'ORTF. À ce micro-événement on mesure le degré de liberté dont disposaient les journalistes en 1977 pour s'exprimer à la télévision. La grosse farce politique, pour ne pas dire le soufflé, de l'éclatement de l'ORTF n'avait rien changé à la mainmise du pouvoir sur l'audiovisuel public. L'objectif de la réforme n'étant pas de libérer la parole mais de tuer dans l'œuf le pouvoir syndical et politique qui régnait à la radio et à la télévision.
Si j'ai pu remonter le fil de l'histoire c'est grâce aux "Radioscopies" de Jacques Chancel. En effet comment imaginer que le célèbre journaliste de France Inter ait pu passer à côté d'un personnage de la stature d'Arthur Conte (6) ? À la différence de sa parole "bridée" à la télévision, Conte parle clair au micro de Chancel en 73 et en 76 et ne veut rien cacher des pressions qu'il a subies ni du pouvoir exorbitant de l'administration politique. Ça fait du bien d'entendre une telle franchise. On peut alors regretter a posteriori que Conte n'ait pu exercer sur la durée un mandat de Pdg qui aurait peut-être vu des évolutions sensibles à la télévision.
Si je n'évoque pas la radio c'est qu'à aucun moment, dans la vidéo Ina, ni dans ces Radioscopies la radio de l'ORTF (ou de Radio France) n'est évoquée. Il semble bien qu'à l'époque quand on parle ORTF on pense très fort à la TV et pas du tout à la radio. L'image de marque, la vitrine pour l'ORTF c'est la TV. Fort de cet a priori je me remémore l'idée récente du Président Hollande de créer un grand service audiovisuel public de radio et de télévision. Et je me marre encore plus d'imaginer qu'à l'image de l'ORTF (et le mot image là va très bien) la radio risquerait bien d'être noyée dans ce service audiovisuel qui d'après la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti aurait commencé par fondre les sites internet des deux groupes publics audiovisuels.
Pour l'instant je/nous ne saurons rien des idées, projets, analyses d'Arthur Conte pour la radio. Sallebert dérangeait les officines du pouvoir pompidolien, il n'était pourtant en rien considéré comme un gauchiste. Il faisait même preuve d'une grande prudence car recevant Pierre Wiehn et Claude Villers (7) pour faire connaissance avec une nouvelle émission de la rentrée 73 sur Inter, il refusa le titre de "Panique" que Villers, avec à-propos et gourmandise, changea immédiatement en "Pas de panique". Si Gérard Coudert (8) me faisait remarquer qu'aucun autre pays européen n'avait séparé radio et télévision publique et s'interrogeait sur la pertinence de maintenir une spécificité française, je me permettrais de suggérer d'en rester au statu-quo, car même si la future entité s'appelait Radio France TV, d'aucuns seraient peut-être prompts à définitivement filmer la radio et à noyer le poisson au point de très vite raccourcir le titre en… "France TV".
Jacques Sallebert |
(1) Une émission de Roger Pillaudin, qui avant de faire de la télévision était connu à la radio (France Culture) comme producteur,
(2) Ici Claude Estier, René Rémond, Jacques Sallebert,
(3) Indépendantes entre elles mais pas du pouvoir giscardien (1974-1981),
(4) Sympa pour ceux qui dans… 50 ans regarderont la vidéo. Sallebert est journaliste, a dirigé les bureaux de l'ORTF à New-York dans les années 60, et directeur de l'info de la deuxième chaîne (Antenne 2) de 1975 à 1976,
(5) Nommé en juin 1973, (Président de la République Georges Pompidou),
(6) Chancel recevra Conte à 5 reprises (1970, 1973, 1976, 1979, 1988),
(7) Wiehn journaliste et directeur d'Inter (1974-1981), Villers producteur d'émissions pendant 40 ans sur la chaîne publique,
(8) Ex-directeur des Ateliers de Création Radiophoniques Décentralisés du Grand Ouest (Radio France),
A noter, à propos de cette très virtuelle "Radio France TV", que le risque pour la Radio de se faire filmer plus que de raison ne se vérifie pas forcément dans les sociétés "mixtes" de nos voisins... Mieux : constatons que les Canadiens bénéficient d'une société dite "Société Radio-Canada" ou "Canadian Broadcasting Corporation" en anglais, ou le terme Télévision est banni du sigle... Voir :
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