mardi 12 mars 2013

Le cul entre deux chaises…






Le documentaire s'ouvre par un son qui frotte, qui lisse. On pense à un geste appliqué, méticuleux, précis… À un geste de travail répétitif, musical même. "Rien n'est plus émouvant pour moi que de regarder mon père dans son effort physique de plâtrier… Rien dans tout ce que je peux faire ou produire moi-même, ne requiert une telle maîtrise, ne me paraît en mesure d'atteindre cette perfection, et de procurer à ce point la satisfaction du travail accompli". Ainsi parle Stéphane Manchematin qui a réalisé ce documentaire "Le cul entre deux chaises" (1).

Le producteur s'est intéressé à la situation de deux personnes (2), issus du monde ouvrier ou paysan qui n'ont pas suivi la même orientation professionnelle que leurs parents et qui, par leur histoire ont vraiment "le cul entre deux chaises". "L’individu qui passe des classes dominées aux classes dominantes comme l’aurait schématisé Pierre Bourdieu, va devoir composer avec ce conflit qui émerge de la relation entre l’histoire sociale, l’histoire familiale et l’histoire personnelle et, par conséquent, composer avec une série de sentiments contradictoires." (3) On parle de "transfuge", du "parvenu", "d'un ici et d'un ailleurs, de passé et d'un présent. Passé où on avait sa place, présent où on la cherche".

Sont évoqués "l'affranchissement de son milieu, de sa culture d'origine, d'avoir du renoncer, abandonner, des manières de vivre, d'avoir franchi une frontière, d'avoir parcouru une trajectoire sociale,…". Aurélie Filippetti évoque, elle, son "émancipation intellectuelle" par les études. Mais d'entendre, peut-être de façon dérisoire, la "musique" des truelles en contrepoint des "paroles savantes" n'apparaît ni comme plaquée, ni comme didactique, mais peut-être comme la réalité permanente qui accompagne ceux qui ont réalisé le "transfuge". Écouter cette musique-là nous transporte en lieu et place du travail manuel, de l'effort, de la fatigue physique et de la répétition quelquefois insoutenable d'un geste créateur.

Alain Joubert a su "mixer" les couches sensibles, celles d'une parole intellectuelle, comme celles en arrière-plan d'une parole ouvrière qui d'habitude se distinguent, ou se superposent sans s'effleurer. Maintenant que j'ai écrit, j'ai besoin de réécouter cette émission car son sujet, bien trop peu développé à la radio, mérite d'y être attentif.

Cette histoire m'a rappelé immédiatement celle de Jean-François Pocentek, fils de mineur, écrivain, avec qui nous avions, lui et moi, fondé "La belle équipe", une coopérative ouvrière de production d'écriture. Lui, littéraire, moi graphique. En novembre 2001, Laurence Bloch (4), dans "Le vif du sujet" nous a reçu pour raconter notre équipage. Dans le studio, à côté de nous, Irène Omélianenko, présenta au cours de l'émission deux reportages se situant en Finistère, dans les Monts d'Arrée.

(1) Les Ateliers de la nuit, France Culture, mardi 12 mars, 23h, 
(2) Aurélie Filippetti, fille de mineur, ministre de la culture, Jean-Yves Trépos, fils de maçon, professeur de sociologie,
(3) in le site de l'émission,
(4) Productrice à France Culture, future directrice adjointe de France Inter, chargée des programmes.

1 commentaire:

  1. Camille, 70 ans, attend la mort, boit de la bière et ouvre son cahier pour cet anniversaire. Il y décrit sa maison, prise dans la courbe d'une rivière tout près de la Belgique, pleine d'humidité et d'araignées et habitée par ses parents, son père, mineur, « (qui) n'était pas fier de son métier mais ne savait faire que cela ». j'aime bien cette écriture, je la trouve poétique, mais pas seulement.

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