La croisière s'amuse (pas)…

Tenter la parodie, le jeu, l'humour, la comédie ne s'improvise pas. De très grands humoristes à la radio, Pierre Dac, Francis Blanche, Jean Yanne, Jacques Martin en ont fait un art et ont sublimé ce qu'un cahier des charges de Radio France appelle "le divertissement". Sur une chaîne du service public, qui se pique de culture, nous pouvons écouter aujourd'hui un (triste) jeu de chaises musicales où Tewfik Hakem remplace Abdelwahab Meddeb (et inversement), Marie Richeux Marc Voinchet, et Laure Adler… Emmanuel Laurentin. Risque zéro pour chacun de ces protagonistes qui, peu ou prou, pourront aborder sans crainte cette opération appelée "Chamboule tout" (1). Chamboule tout ? Mais chamboule tout quoi ? Dans un tempo horaire bien policé qui ne chamboule rien, dans des évidences de remplacement pire que des pléonasmes, dans un manque total de surprise, ou mieux un manque total de création, France Culture va essayer de nous faire croire qu'elle nous divertit quand ce qui se profile semble être d'une très morne platitude.

Le pompon de cette vraie-fausse parodie d'"Un jour, une grille" s'expose dans le remplacement des journalistes de la chaîne par… des journalistes de la chaîne. Quelle audace, quel risque vertigineux, quelle pitoyable absence d'humour ou pire quelle incapacité à oser tout chambouler pour donner les rênes des journaux à des animateurs appelés aussi "saltimbanques". Saltimbanques qui autrefois dans les foires, marchés et sur d'autres tréteaux avaient pour fonction de tout chambouler. Le principal chamboulement, et non le moindre, n'est-il pourtant pas de faire voler en éclats les certitudes ?

On verra par là que Jean-Marc Four (2), directeur de la rédaction, bien qu'à sa prise de fonction, du haut de ses propres certitudes et de ses oracles, ait indiqué vouloir "rapprocher les programmes de l'info", aura lamentablement échoué sur ce registre. Nous l'entendrons aujourd'hui, l'ensemble des protagonistes de la chaine restera sagement dans son rôle, qu'il soit journaliste ou producteur, sans empiéter sur les plates-bandes de son voisin. L'arrogance du propos et l'absence de connaissance de l'histoire de la radio de ce journaliste ont eu raison d'une idée qui voudrait voir la radio aux mains de journalistes et exclusivement de journalistes.

Alain Veinstein… magnétique

Alain Veinstein, producteur historique à France Culture a souvent raconté vouloir "ne pas confier les émissions à des journalistes mais à des gens nouveaux que je repérais comme des écrivains, pour faire quelque chose qui nous éloigne de la littérature, mais en utilisant le récit et la spécificité de ce moyen qu'est la radio comme moyen d'expression". On est là à des années-lumières d'une vision étroite et corporatiste de la radio. Mais ce soir, triste et amère ironie de l'histoire et d'une programmation primesautière, Alain Veinstein participera, "contre son gré" au "Chamboule tout" de la chaîne. Oh pas en se pliant à cette bouffonnerie tragique, mais, sûrement chamboulé, en présentant un dernier "Du jour au lendemain" dont il sera le dernier invité…  (3). Ses auditeurs fidèles depuis "Les nuits magnétiques" et ceux plus récents retiendront leur souffle, auront peut-être une boule à l'estomac, guetteront ses silences plus lourds que certains autres, certains d'écouter pour la dernière fois, une façon sans pareille de faire de la radio.

Un certain "Chamboule tout" est en marche depuis plusieurs années à France Culture. Bien sûr Jean Marie Borzeix (1984-1997) avait tout chamboulé à la suite d'Yves Jaigu (1975-1984), qui lui même avait déconstruit le bel ordonnancement d'Agathe Mella (1973-1975). Mais on peut dire, sans crainte de se tromper, que ces chamboulements voulaient tendre vers une certaine idée de l'excellence culturelle, si tant est qu'elle existe. La journée d'aujourd'hui met à terre ce pari originel de distinguer dans le paysage radiophonique public une chaîne dédiée à la culture, quand cette chaîne se préoccupe surtout, et à longueur de journée, d'actualité et de journalisme. Rideau.

(1) Jeu de foire,
(2) Qui quitte la chaîne pour prendre la direction de la rédaction de France Inter,
(3) Son émission n'étant pas reconduite à la rentrée,