J'ai failli tomber à la renverse quand j'ai lu dans Télérama "Les podcasteurs murmurent à l’oreille des auditeurs, à la différence de la radio qui s’adresse à une masse indéterminée. Parler de soi pour raconter le monde à travers ses propres yeux, c’est très courageux. Le podcast est un média engagé." (2). Je rappellerai à l'auteure de ces lignes et à celui ou celle dont elle reprend les mots, que nombre de productrices ou d'animateurs disent toujours visualiser une personne en particulier pour s'adresser aux auditeurs (3). D'autre part les études de Radio France et/ou de Médiamétrie montrent que les auditeurs ne sont pas des "masses indéterminées" et que l'on connaît assez finement les auditeurs, leurs âges, leurs CSP, leurs lieux d'habitation (urbain, rural), leur fréquences d'écoute et… plus si affinités.
Pour valoriser le podcast commencer par dénigrer la radio, c'est pas joli-joli mais surtout c'est pathétique quand la démonstration s'appuie sur une assertion infondée. Il en va de même pour l'affirmation au lance-flamme "Le podcast est un média engagé." Ben voyons Léon ! Et la radio un média dégagé ? Quelle farce ! Devrais-je citer les radios engagées et les émissions engagées qui existent encore à la radio publique (même si elles sont de plus en plus rares) ?
Plutôt que de considérer le "podcast" comme une entité unique ne peut-on, d'ores et déjà, admettre que le podcast est protéiforme comme l'est la radio ? Et le podcast, comme la radio ou n'importe quel média, a tout intérêt à essayer d'intéresser "le plus grand nombre" dépassant les cercles des communautés d'intérêt, de genres ou de niches. Au milieu de la décennie qui n'a pas applaudi le succès de Serial (4) ? Et pourquoi la question lancinante et récurrente de l'auditorat et du modèle économique revient-elle à chaque colloque, festival et autres séminaires tendances ?
Si ce support audio est dans l'air du temps, s'il peut se bricoler "freelance" dans la cabane au fond du jardin, s'il s'en crée à une allure effrénée, s'il attise les convoitises et a ses promoteurs du "slow", s'il dispose déjà de catalogues de "recettes", et de recommandations, il a bientôt plus d'agrégateurs que de studios et il y a donc urgence a créer un agrégateur… d'agrégateurs ! Mais ce phénomène sociétal (rien moins) pose la question cruciale du temps de cerveau disponible dont un être humain peut disposer journellement pour, en plus de tout le reste, prendre le temps d'écouter, une, deux, voire peut-être trois heures de podcasts par jour. Et quand bien même le ferait-il, l'émiettement de l'auditoire se creusant chaque jour un peu plus verra l'offre galoper et se développer de façon exponentielle (le mot est faible) ? Et si jamais l'individu écoute, en plus, la radio, quel temps moyen accorde-t-il à son sommeil ?
Open bar à Radio France
Le groupe public ne voulant pas être en reste du "podcast natif" a créé une véritable nurserie et les équipes numériques de Laurent Frisch sont à flux tendu pour produire le sous-genre, si tenté que le podcast soit lui-même un genre ! Bien entendu Frisch "peut sauter sur sa chaise en disant le podcast, le podcast, le podcast" (5), mais pourquoi les contenus de TOUS ces podcasts natifs ne trouvent-ils pas leur place dans les programmes des chaînes généralistes de Radio France ? La nuit sur France Inter ? Le jour sur France Culture ? Et puis ces créations comment sont-elles financées ? Quelles co-producteurs ? C'est quoi l'entourloupe… sémantique ? N'est-ce- pas une façon adroite et détournée de s'affranchir des cahiers des charges, des obligations sociales et d'un modus operandi qui a fait ses preuves depuis la création de la radio ?
Sofi Jeannin et le Chœur de Radio France dans l'Auditorium de la Masion de la radio. Photo : C. Abramowitz / RF |
Soyez sans crainte à Radio France ce n'est pas de ce blog confidentiel, modeste et génial" que leur viendra la suggestion. Je ne crois pas connaître quelque autorité qui perdrait son temps à lire ma prose pro service public. Toutefois, plutôt que de passer votre temps à roucouler vous feriez bien de mettre un peu de doutes dans vos certitudes et d'en rabattre sur votre arrogance de premier de la classe. Le gouvernement libéral de M. Macron se fiche du tiers comme du quart de vos réussites gonflées à la médiamétrique. La fin de la radio publique est programmée et chaque jour vos démonstrations de satisfecit l'incitent un peu plus dans la ligne qu'il s'est fixée : dissoudre la radio dans la TV.
(1) Roland Barthes "Mythologies", Le Seuil, 1957,
(2) Télérama, Carole Lefrançois, 21 octobre 2019. J'ai écrit à cette journaliste (mail, 23/10) pour lui demander qui était l'auteur de ces propos incroyables qu'elle cite en chapeau de son article, elle ne m'a jamais répondu,
(3) C'était aussi le cas de Claude Dominique,
(4) "Serial" est un podcast (États-Unis) de journalisme d'investigation, diffusé en épisodes hebdomadaires, à la manière d'un feuilleton radiophonique en 2014. En décembre de la même année, chaque épisode avait été téléchargé en moyenne 3 400 000 fois. (source Wikipédia)
(5) cf De Gaulle "L'Europe, l'Europe, l'Europe…",
(6) On joue un peu avec l'acronyme et ça fait "SPÉ", comme Spécialisé ou Spécialiste, tu vois l'genre. Dans le projet de Sibyle Veil, Pédégère de Radio France, il est bien prévu un "Studio Radio France" prestataire de service pour le privé !
(7) Avec les économies réalisées on peut financer et développer par exemple… les quatre formations musicales de Radio France,
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