Dimanche dernier Frédéric Martel, producteur à France Culture vous recevait, de 19h à 20h, dans "Puissance douce" (1). Je pense que vous êtes consciente de votre privilège de pouvoir disposer d'une heure de tribune sur une chaine publique d'un groupe que vous présidez. Vous aurez sans doute, lors d'un prochain Comité Social d'Entreprise Central (CSEC), l'occasion de proposer aux organisations syndicales de pouvoir faire part aux auditeurs de leur inquiétude face à votre plan stratégique 2019-2022 (2).
D'abord, pendant toute cette émission je vous ai écoutée, j'ai pris des notes mais, j'ai le regret de vous le dire, je n'ai pas entendu la radio. Je suis connu pour être un écouteur et donc je me pique d'avoir quelques qualités pour écouter(3). Je n'ai pas entendu la radio qui devrait battre en vous. Une radio qui me parlerait, qui me mettrait dans la confidence, qui m'assurerait qu'au-delà des chiffres que vous savez si bien asséner, notre histoire va se poursuivre. Au lieu de quoi, sans la moindre modulation, comme à l'Assemblée nationale et comme vous l'aviez fait devant le CSA il y a un an, vous avez dit la messe ou plutôt votre catéchisme. D'une vision technocratique et glaciale de l'avenir de la radio publique. D'ailleurs ce mot "radio" vous le prononcez si peu qu'on pourrait croire que vous l'avez déjà remplacé par le sémillant "audio".
Pour faire bonne figure Martel avait invité trois journalistes (4). Ces derniers, très au fait de l'actualité de Radio France, ont eu beau vous poser des questions pertinentes vous avez répondu de cette façon qui va devenir votre marque de fabrique, avec les mêmes mots, défendant votre projet et incapable d'imaginer les alternatives qui existent et dont vous n'imaginez même pas vous saisir ! Martel cite l'article de Mauduit (5) dans Mediapart, vous rebondissez avec une pirouette mais ne répondrez pas à la différence d'évaluation qu'a fait le cabinet Tandem concernant les charges salariales prévisionnelles et celles de votre plan (ce qui a des incidences énormes sur les emplois qui pourraient disparaître).
Je pourrai reprendre chacune de vos phrases et les remettre en question ! Vous psalmodiez vos mantras de façon très douce, vous pourriez être persuasive si nous ne savions pas que derrière la belle mécanique que vous appelez de vos vœux se cache un effroyable plan de destruction massive de la radio de service public. Vous faîtes votre des orientations impulsées directement par l'Élysée et par Bercy. Pour ne pas dire par Emmanuel Macron lui-même. Sur les bancs de la même école vous avez appris l'enfumage avec un verbiage dont personne (ou presque plus personne) n'est dupe.
Bérénice Ravache, Jack Dorsey |
Preuve s'il en fallait une quand vous dîtes que l'écoute de Fip est confidentielle ! Faudrait savoir ! C'est votre sentence ce dimanche quand quelques jours plus tôt Bérénice Ravache directrice de Fip recevait Jack Dorsey, patron de Twitter. Alors pas si confidentielle que ça la radio qui dans deux ans fêtera ses 50 ans ? Dommage que dans cette école nationale d'administration on ne vous ait pas fait entendre les voix des dirigeants (du groupe ou des chaînes) qui vous ont précédée. Plusieurs parlaient radio sans grésiller mais avec un cœur qui battait pour un média qu'il devait défendre et développer.
Si cette lettre arrive jusqu'à vous en ce jour de grève, j'espère que vous la lirez. Je n'ai absolument aucune espérance qu'elle puisse vous mettre quelque doute que ce soit. Pourtant si vous aviez un peu moins d'assurance, un peu moins de certitudes, un peu moins de distance avec les salariés de Radio France, vous auriez pu écouter des femmes et des hommes qui vous auraient parlé radio. Pas numérique ! Radio. Ce formidable média que vous louez mais que vous ne connaissez pas et dont vous connaissez encore moins l'histoire intime.
Dimanche soir vous avez eu de la chance, Martel d'ordinaire perfide avec ses invités ne vous a pas gratifié d'un de ses mots qui ne font rire que lui, ni n'a essayé de vous mettre en difficulté. Vous avez bien fait d'aller là c'était sûrement le meilleur endroit ou vous pouviez être sûre de ne pas être contredite ! Autrefois (du temps de Peyrefitte, vous connaissez ce directeur de l'information à l'ORTF ?) suite à votre passage sur l'antenne on aurait parlé de radio d'État. C'est pareil aujourd'hui, grand commis de l'État vous accomplissez, avec beaucoup de zèle et de détermination, le fait du Prince. Pensez-vous vraiment que les auditeurs et le personnel vont avaler la couleuvre ? Non, et ils risquent de le dire assez fort si on veut bien (pour les auditeurs) leur donner les éléments du débat ou de votre projet stratégique.
La Maison de la radio, vue du ciel |
Pour conclure, Madame, vous n'avez pas le droit de détruire Radio France. Vous devez accepter la contradiction et convoquer les auditeurs aux États Généraux de la radio publique qui seraient la suite logique de la consultation citoyenne d'octobre dernier. En aurez-vous le courage ? En aurez-vous l'audace ? En aurez-vous la dignité ?
À bon entendeur, salut !
P.S. : J'espère Madame que vous saurez conseiller à votre futur directeur de la musique, Didier Varrod, de ne pas avoir la maladresse de publier les "playlists de grève" comme ce dernier l'avait fait en juin 2015 pour France Inter,
(1) J'ai traduit en français pour que votre groupe soit en accord avec sa philosophie de la promotion et diffusion du français. Nous restons persuadés que Martel a une capacité énorme d'influence dans les médias et qui sait à Radio France ?
(2) Le Livre blanc "Radio France 2022, une nouvelle ambition de service public",
(3) Je réalise ce blog depuis juillet 2011 et ai publié 2060 articles sur la radio publique,
4) Amaëlle Guiton, journaliste à Libération, spécialiste des enjeux numériques. Emmanuel Paquette, journaliste à l'Express, spécialisé nouvelles technologies et médias. Gilles Fontaine journaliste à Challenges,
(5) "Crise à Radio France: un rapport dément les chiffres de la direction", 16 juin 2019,
Un grand merci Radio Fanch pour votre belle lettre. Cela me met du baume au coeur. Je viens de faire grève. Je fais partie du petit peuple que notre pédégère et sa DRH appellent "fonction support" (sic) En français, ce sont les employés qui travaillent dans les services administratifs de notre Maison. Nous, nous n'avons pas l'habitude de parler en public ni d'écrire. Alors merci pour votre lettre qui traduit si bien nos inquiétudes et merci pour votre fidèle soutien. Nous étions très nombreux en grève aujourd'hui à Paris et partout en France. Cela fait plaisir !"Ils" veulent la peau du service public, de notre belle radio mais "ils" n'auront JAMAIS notre âme !
RépondreSupprimerMerci ;-) Ici l'explication de ma réponse tardive ! https://radiofanch.blogspot.com/2019/09/alerte-quelque-chose-coince-dans-la.html
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