lundi 10 juin 2019

Mue de Radio France : en trois mots comme en cent… (2)

Vendredi dernier vous avez pu lire le premier mot d'une trilogie illustrant la mutation de Radio France. Le très tendance "Radio-Réseau" qui, si la mode des porte-clefs existait encore serait déjà en vente libre au 116 avenue du Président Kennedy (Paris, France). Ce mot valoche (trop moche), comme celui du jour est extrait du Livre blanc "Radio France 2022, une nouvelle ambition de service public" qui a été présenté en Comité Social et Economique Central (CSEC) et au personnel jeudi dernier par la Pédégère Sibyle Veil. 



Studio Radio France (1)
"On" commencera par sourire en lisant la supplique du titre ci-dessus, genre de mantra bas de gamme pour stagiaires en Sup' de Com'. "On" notera la pirouette habile, forcément habile, qui consiste à faire glisser (slide) doucement le mot audio devant le mot radio. Nous ne sommes pas dupes, l'audio va permettre à Radio France de vendre… son âme. Nous allons le montrer tout à l'heure !

Pour justifier les montants colossaux d'investissement qui pourraient leur être alloués pour la période 2019-2022 (2), les p'tits génies de l'intelligentsia numérique, bien élevés au grain libéral, ont vite imaginé un "retour sur investissement" assez balèze. "Ben on a qu'à louer nos studios, nos savoirs-faire, nos techniciens et l'affaire est faite". Voilà et si l'on ajoute :
- services de productions à destination de tiers,
- coproduction avec des partenaires de programmes audio dans une logique d'exploitation multiples,
Tout est en place pour que la transformation, la mue soient irréversibles (3)

Vous le voyez le loup derrière l'agneau ? Alors non seulement "on" vendra nos savoirs-faire au privé mais en plus "on" va se lancer dans la coproduction. Pourquoi pas ? Mais je crois  que là "on" ouvre la boîte de Pandore. Discrétos c'est la porte ouverte à faire entrer dans les programmes des sept chaînes des coproductions avec le privé. Autant dire que l'antienne "nous sommes les producteurs uniques de nos programmes" psalmodié par Gallet (l'ex-Pdg), qui récitait très mal sa leçon, ira rejoindre les catacombes de la mémoire radiophonique. Et vous verrez apparaître des choses comme "Aujourd'hui Air Inter (4) donne carte blanche à…" Et ce sera une journée entière confiée à un producteur privé d'audio ("un studio de podcast" ça fait plus mieux) (5).


Sibyle Veil













Vous le voyez venir le slide… idéologique ? Allez pas me dire que je suis parano, que je vois le mal partout et tutti ! Gardez ce billet au chaud et montrez-le à vos petits enfants dans 5 et 10 ans. OK ? Le désengagement public sera là. Plus besoin d'équipes de réalisations, d'ingénieur du son, de techniciens dédiés à des émissions ou à des chaînes. Radio France vendra un produit "clefs en main" avec son "Studio" et co-produira ou échangera de l'audio pour diffusion antenne. Les tutelles exulteront ! La part de la CAP (Contribution à l'Audiovisuel Public) va fondre comme neige au soleil. Tout ça étant le prétexte ultime de la casse de l'audiovisuel public. Et permettez-moi de ne pas m'agenouiller devant le propos de Veil exprimé jeudi dernier : "On s'est battu pour vous, pour que votre histoire à Radio France continue de vivre." Ça aussi c'est de la com' ! On en reparlera avec la Pédégère dans quelques mois !

(À suivre)
Demain, 8h, ici… le troisième mot
ou "le mot de la fin" ?
Ajout du 11 juin 2019, 19h…
Laurent Frisch, directeur du numérique à Radio France vient d'annoncer dans "Du grain à moudre" sur France Culture, il est "dans le champ des possibles d'accueillir les contenus d'autres producteurs" [que ceux de RF s'entend, ndlr]. Des coproductions pourquoi pas aussi …". CQFD


(1) Chapitre 4 du Livre blanc "Tout faire pour l'audio", page 38
(2) 20M€ soit le tiers
(3) On se demande vraiment comment ces buses qui ont imaginé la création, en un seul lieu de Paris, d'une "Maison de la radio" équipés de studios modernes pour la radio publique ne l'ont pas pensé dès l'origine comme "prestataire de services", hein on s'demande ! D'accord l'Etat avait le service public chevillé au corps et Giscard sortait à peine de l'adolescence mais quand même cette absence génétique de libéralisme en dit long sur l'époque !

(4) Réseau-Radio, initiales RR, contracté et réécrit en Air, c'est pop, planant, jeune et net, comme "on air", Air Inter, Air Culture, Air Musique (voir billet de vendredi dernier),

(5) Les mêmes petits génies déjà évoqués, - en l'absence de Guimier-qui-sait-tout-sur-Europe1-, ne savent pas qu'en 1958, Pierre Bellemare, le grand animateur et voix de radio décédé récemment, créait Tecipress pour vendre, entre autres à Europe 1, des émissions "clefs en main" dont il était l'animateur-producteur. 

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