mardi 23 février 2021

Jouer, danser… lire ! Écouter…

Avec Blonde ça a tenu quatorze jours et quelques nuits. Ça pouvait pas tenir plus longtemps, même si j'aurais aimé que ça dure des mois. Je connaissais la fin. J'ai eu beau ralentir mais ça n'a rien changé. On ne peut pas réécrire l'histoire quand tout est joué. Après ça, je me suis donné trois jours. Là où nous dansions. Et j'ai dansé presque sans m'arrêter samedi, dimanche et hier lundi. En dix sept jours j'ai fait le grand écart. D'ouest en est. Hollywood, Détroit. Entre les pages j'ai tout revécu. Presque un siècle. Mais ce n'était que quelques années pourtant. Avec la voix de Marilyn et celle de Judith.











Vingt ans que je m'étais dit qu'il fallait que j'entre dans le grand roman de Joyce Carol Oates. Vingt ans ! Pourquoi avoir attendu si longtemps ? J'sais pas. C'est fait maintenant. Et je repartirai bien dans les neuf-cent-quatre-vingt pages de "Blonde" en marchant plus doucement, même si, malgré tout, après chaque page, quelque chose de puissant s'incrustait en moi. Marilyn connue, inconnue.

Pendant cette lecture j'ai revu trois films de ses débuts et réécouté trois ou quatre de ses chansons. Pour ces films je l'ai regardé autrement même si j'ai déjà beaucoup lu de choses sur elle. Je l'ai regardé autrement car J.C. Oates raconte autrement et, il y avait quelque chose à voir même si Marilyn est impeccable dans ses rôles. Il y avait l'histoire autour de Marilyn et Marilyn. Et j'avais aussi besoin de sa voix pour accompagner ma lecture. Pour d'une certaine façon être raccord ou retraverser… sa vie.











Par contre la voix de Judith Perrignon je la connais. À l'occasion de grandes traversées sur France Culture elle nous a fait voyager jusque chez Sinatra et Springsteen. J'aime sa façon de raconter. Elle laisse son sujet prendre "tout l'écran". À côté, elle raconte. Quelquefois chuchote et nous entraîne sur ses pas. Quelquefois on danse ou on danserait.

"Là où nous dansions" son nouveau récit nous plonge à Détroit dans les glorieuses de "Motor town"et dans sa chute tragique à travers le destin d'inconnus qui s'entremêlent avec en trame les stars de la musique. Stars qui avant d'en être vivaient dans les cités où les Noirs auraient bien voulu ne pas être ghéttoisés. Perrignon tricote avec maestria les histoires simples "de gens de peu" qui croisent les histoires à paillettes de ceux qui sont d'abord d'ici, des quartiers et des tours que des années plus tard, la ville a fini par raser, tant la faillite industrielle a fini par tout laminer.

Je ne veux pour aucun de ces deux livres vous en raconter l'histoire et je ne sais pas critiquer la littérature. Mais d'une certaine façon j'ai envie de vous dire que ces deux livres ont une voix et que je ne pousserai pas le pléonasme au point d'en demander une série, un feuilleton, un documentaire ou un… Vous savez cette chose à la mode qui prétend réinventer l'audio. Oui une voix qui, si on l'imagine ou si on la connaît, a le soul. Et cette petite musique intérieure chamboule la lecture au point qu'on aimerait dans un cas comme dans l'autre que l'histoire ne s'arrête jamais.

"On dit souvent qu'à Detroit le bruit de l'industrie a influencé la musique".

Et dans les deux cas elle s'arrête. Mais la musique ne s'arrête pas. Forcément Judith Perrignon m'a donné envie de réécouter The Supremes, John Lee Hooker, Martha and the Vandellas et d'autres artistes Motown. Son récit nous fait revenir aux sources. Et ces tours du Brewster Douglass Project, que je ne visualise pas, où plusieurs des protagonistes ont vécu, m'évoquent les cités de mon enfance et ce qui y circulait pour tenter l'utopie de "Changer la vie, changer de monde". 

Il fallait entendre cette histoire enfouie dans le magma de l'essor industriel, de la misère et du racisme qui, elle aussi, aurait pu disparaître. Rasée en quelques minutes. Pourtant troublante. Minuscule et énorme d'humanité. Il fallait la raconter et Perrignon l'a fait délicatement et subtilement. Humblement, comme si elle nous avait soufflé à l'oreille cet "instantané d'Amérique" qui en dit si long sur son histoire. Comme un blues à fleur de peau.

• "Blonde" de Joyce Carol Oates, 2000, Stock,
• "Là où nous dansions" de Judith Perrignon, 2021, Rivages.

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