Vendredi 14 septembre 2012. 11h50. Fip annonce le décès de Jean Garretto, créateur, avec son alter-ego Pierre Codou, de cette antenne (1). Je suis en train de conduire. J'appelle aussitôt deux amis de la grande Maison (de la radio). Quand on a, comme moi, tellement aimé L'Oreille en coin (2), c'est d'une certaine façon "une part de sa vie" qui se referme, même si l'émission s'est terminée en septembre 1990. L'émotion est intense. Les hommages et témoignages radio se multiplient et très vite ses amis de l'Oreille en coin vont s'organiser pour lui rendre un dernier hommage. Guy Senaux, ingénieur du son, qui a travaillé avec lui pendant dix huit ans à l'Oreille (et au geste), a la gentillesse de me "mettre dans la liste".
Jeudi 25 octobre 2012. Maison de la Radio. Studio Charles Trenet. Les hommages vont se succéder pendant presque deux heures. Aujourd'hui je voudrais évoquer celui de Jean-Noël Jeanneney (3). Sans note, les yeux pétillants et la parole libre, Jeanneney va dresser le tableau d'un homme simple qui a marqué et marquera encore longtemps la radio publique.
© Philippe Pallares |
"Je sais gré à Jean Garretto de nous avoir donné l'occasion de nous retrouver. J'éprouve une dilection particulière pour ce que Jean Garretto était. Un homme rare. J'ai été heureux de travailler auprès de lui, près de quatre ans. [A mon arrivée comme Président de Radio France], je souhaitais donner la responsabilité des programmes de France Inter à un des personnages majeurs de la Maison [de la radio]. On disait un peu moins "les Barons" qu'à la télévision, mais c'était quand même ce qu'on disait. Je les ai fait tous venir -les barons -, tous les autres (rires dans le studio) (4), et ce qui m'a frappé c'est ce que chacun m'a dit. Tous m'ont parlé d'eux-mêmes, quel avait été le brio de leur itinéraire. Ils m'ont expliqué comment ils étaient tout prêts à mettre au service de la Maison leur capacité à tout transformer. J'ai donc écouté. Je leur ai demandé quelles idées ils avaient. Ils répétaient que leur idée majeure était de servir cette Maison, avec leur imagination et leur spécifique et exceptionnel talent. Puis un homme, Jean Garretto, avec une voix douce ne m'a pas parlé de lui. Je me suis souvent demandé s'il n'habillait pas d'une fausse timidité son désir profond de garder sa distance. C'était un homme absolument réservé.
Quand je lui proposais de prendre la responsabilité des programmes de France Inter, il me répondit qu'il n'était pas question qu'il accepte. Car avec la petite équipe qu'il avait formée, d'année en année, et dont il avait dessiné la complicité, il était très bien. J'avais devant son refus d'autant plus envie de le recruter. Nous nous sommes revus et, progressivement, il a incliné à penser qu'après tout dans sa belle carrière ce pourrait être un moment précieux que d'être responsable des programmes de France Inter."
Il a imaginé une grille de "pleins et de déliés" mais il a aussi fait ce qu'il ne faut jamais faire à la radio, il a mis par terre le programme antérieur. Rarement un patron n'a joué plus doucement des rênes (et Jeanneney de joindre le geste à la parole). Il n'avait pas besoin de dire grand chose, il était évident qu'il serait obéi à bas-bruit. La radio de service public c'est la volonté, le devoir de donner au public des émissions qu'il ne sait pas encore qu'il aimera puisqu'il ne les connaît pas, puisqu'on ne les lui a jamais données. Il faut du temps pour qu'il les aime et les apprécie.
… Un de ceux qui avait été extrêmement déçu que je ne trouve pas en lui le talent évident qui devait l'imposer à la tête de France Inter a eu ensuite les manettes (5) et a traité Jean Garetto et les siens d'une façon que j'ai trouvé médiocre pour ne pas dire méprisable. Garretto a terminé sa carrière de ce fait dans un poste périphérique (6), on l'avait privé de ce qu'il aimait passionnément, l'esprit du service public. [Avant] il avait enrichi ceux qui l'ont approché et il a honoré cette Maison."
Qui mieux que Jeanneney pouvait dire l'histoire (la petite et la grande) sans occulter le désastre moral du départ de Garretto de Radio France ? Il fallait le dire et le dire au sein même de la Maison de la radio, ne serait-ce que pour l'honneur ou la dignité de Jean Garretto. Jean-Noël Jeanneney, brillant, affectueux, sincère et libre a trouvé les mots justes pour décrire un Garretto humble et génial, discret et élégant et surtout un formidable inventeur radio, entraîneur d'équipe.
(À suivre… demain)
(1) en 1971, initialement France Inter Paris, en Ondes Moyennes (FIP 514),
(2) 1968-1990, du samedi après-midi au dimanche soir, France Inter,
(3) Pdg de Radio France 1982-1986, anime et produit tous les samedis "Concordance des temps" sur France Culture, 10h
(4) Hors Jean Garretto, NDLR,
(5) Pierre Bouteiller en 1990, Jeanneney n'était plus Pdg,
(6) Embauché par Patrice Blanc-Francard (ex Inter, actuel directeur du Mouv') à Europe 1,
(7) J'ai publié en septembre ceci, ceci et cela ! Et il y a juste un an cette fiction, épisode 2, 3 et 4.
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