dimanche 24 février 2013

Actuel… Bizot

Tonton souterrain à la façon Crumb…


Le saviez-vous Jean-François Bizot (1) était un jardinier. Un jardinier de pépinière même. Mais pas une pépinière d'arbres bien rangés en ligne, une pépinière de jungle que l'on observe depuis les galeries souterraines autour des racines (roots), jusqu'à la canopée où, si proche du ciel on plane.

Il nous fallait bien ça, nous qui, au début des 70', parqués en R.F.A. (République Fédérale d'Allemagne) devions tuer le temps misérable que l'"on" nous infligeait à grands coups de galons, de misère intellectuelle, de beauferie, de mépris, de gabegie financière, d'oppression morale et de modèle de société ridicule et méprisante. Vomir forcément vomir, dégueuler même.

Je te revois, mon copain arménien, un peu rond et jovial, sortir de ta valise et brandir Actuel, petit flash immédiat dans cette nuit permanente d'encre souillée et putride où il nous fallait souvent, contraints et forcés, "fermer les yeux" (2). Nous avions apporté avec nous quelques 33 tours (3), de Pink Floyd à Jefferson Airplane en passant par Janis Joplin, Zappa, Hendrix, Soft Machine, Led Zeppelin et quelques autres bien dans l'air du temps (4). Alors forcément "Actuel" a pour moi cette image et ce goût d'une autre révolution, des mœurs, de la musique, de la vie "définitivement" libérée de la gangue de l'après-guerre.

Dans ce n°d'"Une vie, une œuvre", diffusé hier sur France Culture, je suis assez surpris que personne n'évoque l'aspect graphique du journal et sa version première manière (5). C'était l'"explose" totale des codes graphiques en vigueur en France, l'illisibilité assumée, la couleur comme si elle débordait (de vie) et la garantie d'être surpris numéro après numéro. Le fond et la forme étaient "raccord" et ce jusqu'à la texture du papier genre recyclé avant l'heure. À l'époque on ne "savait pas" que c'était Bizot le grand manitou ou le gourou de tout ça, et qu'il y avait eu un "Actuel" avant "Actuel", sans doute encore plus "confidentiel" que celui de Bizot qui ne le resterait pas longtemps.




"Une vie, une œuvre" s'attache ici à faire témoigner ceux qui ont approché le mythe (6). Surprenant alors qu'on ne rappelle pas, au cours de l'émission, à chaque fois qu'ils prennent la parole, le nom des intervenants. C'est juste un peu agaçant car on est obligé de "chercher" et ça gâche forcément l'écoute ! Mais succulent d'entendre en annonce de l'émission "… un certain désordre aide à créer, à inventer. D'ailleurs […] l'oxygène l'a été par une forme de négligence…". Tout est là, Bizot a inventé l'oxygène et, enfermés derrière nos murs verts de gris, nous avons réappris à respirer (7).

Qui d'autre que Bizot aurait pu, après avoir publié du Crumb "à longueur de pages" - ce dernier, dans la dèche, en attendait un peu un retour financier -, lui faire immédiatement un chèque pour s'acquitter des droits de reproductions "dus". Bizot gagne à être connu et "il y a sûrement quelque chose à faire" pour qu'on en parle encore à la radio. Avis aux amateurs (et aux professionnels !)…
  
Mes chers auditeurs, j'ai beau être collectionneur de presse je n'ai plus aucun n° d'Actuel première formule, si, par hasard, dans votre grenier, vous en aviez un ou deux exemplaires et que vous acceptiez de me les prêter, je vous les retournerai dans les deux jours.

(1) Fondateur d'Actuel (mensuel, en deux époques distinctes), de Radio Nova et de Nova (mensuel),
(2) Lire "fermer sa gueule",
(3) On ne disait pas vinyle à l'époque,
(4) Mais Jean Ferrat aussi qui chantait Aragon,
(5) Mais peut-être que dans la série, "Les années Actuel" que la Fabrique de l'histoire sur France Culture avait consacrée au journal (diffusion du 31.12.2007 au 4.01.08), cette particularité avait été évoquée ? J'ai les podcasts en archive et vais, de fait, les réécouter. L'occasion fait le larron,
(6) "Le mythe", c'est Matthieu Garrigou-Lagrange qui le suggère en annonce de l'émission, 
(7) Lire aussi ici. Et si vous l'avez conservée, écoutez : "L'Événement, la dernière aventure d'Emmanuel d'Astier de la Vigerie, de Thomas Baumgartner et Christine Robert diffusé in La Fabrique de l'Histoire, 27 septembre 2005".

5 commentaires:

  1. J'ai hélas laissé toute ma collection d'Actuel dans une autre vie (et je n'ajouterai pas "première manière" comme Fañch) parce que ce qui a suivi était juste de la pâtée pour les cochons. (Pardon pour les cochons qui de toutes façons ne liront pas ces lignes).
    
Il faut vraiment dire ce que fut cette publication pour les traîne-savates de mon genre. Lorsque dès l’âge de 14 ans on est envoyé en mission spéciale dans l’industrie métallurgique pour contribuer à la splendeur d’un temps que nous appellerons plus tard « les 30 glorieuses » (pour qui je me le demande) on a pas vraiment le temps ( l’envie ?) de se cultiver. On pense ardemment à la Simca 1000 « Rallye » qu’on ne pourra jamais s’offrir ou à la R8 du sorcier Amédée Gordini dont les merveilleux ronflements ne coûtent à cette époque qu’un prix raisonnable à la pompe….
    Bref on est cons….
    Or donc, un jour du printemps 70, un rejeton de ces familles fortunées (qui elles comprennent sûrement ce que « 30 glorieuses » veut dire) reprend un journal dont le premier numéro me tombe sous la main un jour d’ennui (c’était à la gare de Givet et je me rendais en Belgique).
    Passé le premier choc – c’était assez ébouriffant comme mise en page – on plonge dans la lecture de cette revue incroyable avec toute l’avidité imaginable d’un inculte. On a beaucoup évoqué le terme de contre-culture à propos d’Actuel mais pour beaucoup ce fut tout simplement l’accès à la culture.
    Que ce soit dans les choix musicaux ou dans la BD ( bien sûr tout le monde pense à Robert Crumb ou à Gilbert Shelton mais il y avait aussi Massé dont les personnages grinçants étaient une vraie avancée dans le monde de la BD de cette époque ) ou la littérature c’était une véritable ouverture sur le monde.
    C’est dans les pages d’Actuel que j’ai lu pour la première fois Bukowski et découvert je ne sais combien d’auteurs qui m’auraient vraisemblablement échappés sans cette revue.
    Ce fut une fenêtre ouverte sur "autre chose", sur une possibilité encore mal définie mais patente d'envisager une existence autre que Pompidolienne ou Giscardienne (là ça fait vraiment ancien combattant...)
.
    
Pour comparer avec quelque chose de plus contemporain - si vous n'avez jamais mis les pieds dans une école après l'épreuve du certif' - c'était à peu près la même sensation déconcertante qu’entendre Michel Onfray nous exposer ses vues sur la philo et sentir avec étonnement une familiarité étrange avec une matière dont on ignorait tout jusqu’alors.
    Alors merci pour tous ces beaux moments de lecture à cette équipe.
    Il m’arrive parfois de croiser le regard d’un membre de cette équipée fabuleuse dans la rue Montorgueil. On ne se salue pas, mais on se reconnaît silencieusement comme membres d’une même aventure générationnelle à laquelle nous ressemblons encore un peu…

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    1. Comme tout ceci est joliment dit, m'sieur Jakki ! Absolument incroyable que tu te souviennes que c'était à Givet (d'avant la centrale nucléaire) qui portait sans doute les stigmates de l'ennui, non ? Quand à l'Actuel deuxième manière (même proprio), son papier glacé allait coller à une époque glaciale à venir (new wawe) et branchée. Sans doute aussi pour cela que ça a fini par débrancher un Actuel devenu trop tendance à tout prix…

      Quant au cochon depuis quelques jours il a une autre "saveur" et une autre odeur !

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  2. Francis Masse (pas Massé) ! Oui, c'est vrai : ce qu'il y a eu de plus mémorable dans Actuel, ce sont ses bandes dessinées. Je rappelle que la toute première version de ce journal (rachetée à des musiciens de free jazz fauchés par le fortuné Bizot) était absolument remarquable, inouïe même : hors mode, hors "air du temps" (ou disons, du côté des marginaux du Jazz et de la musique contemporaine - et un peu de la pop). Actuel était aussi une série de disques chez Byg (dirigée par le même Claude Delcloo, batteur). Bref, c'était, avec "L'art vivant", le journal idéal pour être au fait des avant-gardes du moment (qui étaient encore en pleine activité). Après, il y a eu un "moment Bizot" court et chouette (deux trois ans ?), et ça a ensuite peu à peu décliné jusqu'à devenir cette horreur des années 80 (pareil pour L'écho des savanes, une fois Mandryka mis à la porte). Splendeur et déclin. Histoire habituelle !

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  3. Bonjour! Je vais poser mes godillots dans le plat, mais sans en faire tout un plat! Quand Actuel est sorti, je n'étais pas en France, je lisais Crumb dans le texte, enfin je regardais les dessins, parceque pour lire en "américain" Crumbien de surcroit, je n'étais pas au top!Deux ans plus tard, je ne lisais toujours pas Actuel, vu que le seul illustré que mon hotelier m'offrait, s'appelait TAM (même pas tam tam! la fin du colonialisme (?) n'avait guère plus de 10 ans. J'ai découvert Actuel un premier / deux avril 1974, le jour exact, je l'ai oublié, mais dans le train qui me menait dans les Cévennes, j'ai failli me faire lyncher car j'ai pris la mort de pon-pon(des sous si doux) pour un poisson d'avril. Il paraît que cela n'étais pas vrai! Bon revenons à Actuel, franchement ce n'étais pas mon verre de rhum, trop fouilli à mon goût, je ne m'y retrouvais pas! Alors qu'est ce que je viens faire ici? C'est tout bête, mais si je n'aimais pas Actuel, le gros de mes amitiés le lisait, l'aimait et c'est capital pour moi, ces amitiés, m'ont tellement aidées à reprendre goût à la vie, après deux ans de vacance en RFA, avec Tam pour seul compagnie (imposée) !Ce n'était pas le goulag, bien sur, loin s'en faut, mais !
    Merci Bizot, je vais écouter le poste, et le podcaster, les K7 c'est devenu un luxe!

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    1. Bonjour MK7, je n'étais pas dans le train le 3 avril au matin ! Je venais de traverser la Loire (par le bac) en périphérie de Nantes. Devant le café, à l'accostage sur l'autre rive, je vois la manchette d'Ouest France annonçant la mort de Pompidou et je crois aussi à un canular ! Pour une fois je n'avais pas écouté Claude Villers la veille (mémorable) dans "Pas de panique" alors que dans les couloirs de la maison ronde c'était la panique ! (Voir le livre de Villers et la biblio sur ce blog : Biblio radio).

      Un 1er avril aurait incité Charlie Hebdo à "refaire" : "Bal tragique à Colombey…" (mort de De Gaulle) et ça la famille Pompidou n'y tenait vraiment pas, même si…

      Quant à TAM (je traduis : Terre/Air/Mer) c'était un torchon spécial nausées… ah bon ?

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