mardi 19 janvier 2016

Audiovisuel public : une mue, des mutants…

©lemonde.fr
Philippe Bouvard : 1er journaliste-amuseur ?













Subrepticement deux micro-événements se sont croisés il y a quelques jours à la télévision. Julien Lepers, débarqué de son animation du jeu "Questions pour un champion" sera remplacé en février par un journaliste : Samuel Etienne. Samedi dernier dans le talk-show "On n'est pas couché", sur France 2, le premier ministre, Manuel Valls, a été interviewé pendant 1h37  sous la conduite du maître de cérémonie, Laurent Ruquier, amuseur parmi les amuseurs.

Dans son émission quotidienne à France Inter, L'Instant M, Sonia Devillers a reçu lundi matin "Madame Barma", productrice de l'émission de Ruquier sur France 2. Devillers n'a pas manqué de faire remarquer à Barma que les bons résultats d'audience (2,7 millions d'auditeurs, pour un horaire très tardif) pourraient inciter les responsables de la chaîne à utiliser Ruquier et son style pour renouveler les émissions politiques à la télé, particulièrement à quelques mois des présidentielles. 

Ce show, à la gloire de Valls, n'était-il pas un "pilote" grandeur nature ? Filmé dans les conditions du direct, sans montage, avec deux cautions intellectuelles fortes, Léa Salamé journaliste (1) et Yann Moix, écrivain. Auquel il faut ajouter, "venu de nulle part", un candide, pas si candide que ça, Jérémy Ferrari, humoriste, qui n'a pas épargné le chef du gouvernement. Tous les ingrédients pour inventer une nouvelle émission politique sont réunis. Wait and see.


Laurent Ruquier


















À la radio ce sont d'abord des chansonniers et des humoristes qui ont reçu des hommes politiques. Comme sur France Inter au début des années 80 dans "L'oreille en coin du dimanche matin" (2). Mais en 1977, Philippe Bouvard, n'a-t-il pas été le premier des journalistes-amuseurs,en animant 37 ans "Les grosses têtes" sur RTL ? Plus proche de nous, Charline Vanhoenhacker, journaliste-humeuriste, dégoupille chaque jour l'actualité avec sa bande sur France Inter à 17h (3)

À moins de 15 jours d'intervalle on assiste donc à un glissement des métiers de l'audiovisuel. Samuel Etienne en acceptant d'animer un jeu télévisé désacralise le métier de journaliste. Métier qui, maintenant, pourra prétendre à cette fonction d'animation ludique. Ruquier, dans quelques mois, damera peut-être le pion des journalistes et des ténors de la profession qui ont animé les grandes joutes politiques télévisuelles (Duhamel, Elkabach, de Virieu, Chabot, Sinclair, Pujadas) ?

Ce glissement des métiers et des fonctions s'il en dit long sur la société actuelle, révèle aussi la désacralisation du politique et la sacralisation du divertissement. Ces deux effets se croisent et se mixent indifféremment. Le mélange des genres, après avoir été tant décrié, sera donc reconnu, encouragé et pratiqué. Le style, le savoir-faire des "animateurs" ayant définitivement pris le pas sur le statut. Les mutants arrivent : l'humoriste pourra être sérieux et le journaliste drôle. C'est à ça qu'on reconnaîtra qu'on a définitivement changé d'ère… audiovisuelle, mais pas que !

(1) Prix Philippe-Caloni 2015, de la meilleure intervieweuse,
(2) Principe que Laurent Ruquier a lui-même prolongé avec "Rien à cirer", sur la même chaîne au début des années 90,
(3) "Si tu écoutes, j'annule tout".

Ce billet a été publié conjointement dans le Huffington Post.

N.B.: Ce jour, la SDJ (Société des Journalistes) de France Télévisions constate que le Soir3 est déprogrammé et diffusé après le "Divan" (saison 2) de Marc-Olivier Fogiel, et regrette que le divertissement passe avant l'info !

2 commentaires:

  1. Bonjour
    Désacralisation du journaliste

    La crise morale du journalisme existe depuis une vingtaine d'années. Les journalistes de presse écrite, radio,Tv qui officient dans les médias nationaux ont perdu beaucoup de leur crédibilité. Autrefois le"reporter" cherchait la vérité, dérangeait, prenait des risques. Seuls les journalistes d'investigation essayent de poursuivre cet idéal. Aujourd'hui le journaliste est trop occupé à gérer sa carrière, à négocier des ménages et à paraitre à la Tv comme débatteur incontournable. A cet égard la création de la future chaine d'info publique ouvrira certainement à ces"cautions intellectuelles"du microcosme parisien de merveilleuses perspectives de piges supplémentaires.
    La cassure avec le citoyen s'est aggravée en 2005 lors du réferendum sur la Constitution Européenne. Souvenons nous avec quel empressement trop nombreux ont été les médias d'information qui nous ont alors expliqué comment voter intelligemment. Ils ont leur part de responsabilité dans le désamour actuel du citoyen vis à vis de la politique.

    Que des personnes qui ne possèdent pas la "carte" de presse tentent de réanimer notre conscience politique pourquoi pas ?

    La France n'est pas le seul pays touché. Aux USA la défiance date de l'invation de l'Iraq lorsque les médias américains les plus réputés appuyèrent la doctrine de Bush sur l'existence des armes de destruction massive.

    A lire : La fin des journaux
    Bernard Poulet
    Gallimard

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    1. Merci beaucoup de votre commentaire très pertinent. Le laminoir de l'écran, celui de l'image s'appliquent résolument à niveler par l'effet. En leur temps Mendes-France puis Rocard se déjouaient des "effets d'annonce"...
      Les journalistes "sérieux" ont été, jour après jour, depuis plus de trente ans, débordés par l'humour, là satyre, la moquerie et la trivialité.
      Repousser le journal de la 3 pour faire place à du divertissement et l'on voit bien où sont les priorités.

      À la radio ce sont les journaux qui mordent, sans vergogne, sur le divertissement !

      J'ai dans ma besace, et pour plus tard, des faits précis sur le pouvoir de l'info sur les programmes à la radio. La TV elle semble prête à s'affranchir des hiérarchies, des castes et des habitudes. Une mue qui n'est pas prête de faire marche arrière... À moins qu'un "nouveau nouveau nouveau journalisme" en décide AUTREMENT...

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