lundi 27 janvier 2020

Qui veut tuer la radio donne la rage…

Suivant l'adage bien connu "Qui veut tuer son chien l'accuse d'avoir la rage" ceux qui veulent tuer la radio ont un postulat et une certitude. "Il y a beaucoup trop de monde pour fabriquer la radio" c'est le postulat. En l'absence de tout discernement, ceux-là mêmes chargés d'initier et/ou d'appliquer le PDV, Plan de Destruction Visible (1) considèrent que toutes les émissions se valent et doivent répondre aux mêmes critères de production et de réalisation, c'est leur certitude. Certitude et postulat qui s'appuient sur une méconnaissance totale des métiers, une idéologie libérale fondamentale et la conviction qu'ils sont les seuls visionnaires capables d'initier un nouveau modèle audio, sous couvert du bien pratique passage au "tout numérique". 


Le "s" est apparu, puis a disparu
mais ce sont toutes les lettres de "musique"
qui vont finir par disparaître…












L'article de Mouna El Mokhtari, paru samedi dans Le Monde (2), présente bien les enjeux à court terme des évolutions des métiers de technicien (du son) et de réalisateur. La direction, dont aucun des membres ne vient de la radio (3), a la conviction que des économies (de personnel et de moyens) peuvent être faites si l'on fait évoluer si l'on casse les modèles et les procédés hérités de pratiques qui auront cent ans l'année prochaine. Comme je l'ai écrit souvent, ces dirigeants ignares, n'ont, non seulement jamais écouté la radio avant de prendre leur fonction à Radio France (4), mais sont persuadés qu'on peut "faire mieux avec moins" (5). Juste par idéologie, sans jamais, mais jamais s'être intéressés au long processus de fabrication d'une émission de radio, à cette chaîne humaine de savoirs-faire qu'ils ont fini par déchaîner (6). Et sans avoir, de fait, mis les pieds dans un studio, une cellule de montage, sauf pour y parader et faire accroire qu'ils sont "in" alors qu'ils sont absolument "out".

Le réalisateur (7) intervient à toutes les étapes de la création d'une émission. Dès sa conception, dans un échange fructueux et indispensable avec le producteur. Au cours de l'enregistrement, de la recherche de sons ou d'archives complémentaires. Au cours du montage (dont il est souvent le principal acteur physique). Au cours du mixage avec le technicien du son. En cabine, en régie au cours de la diffusion de l'émission en direct (8). Le réalisateur, la réalisatrice sont des éléments pivot (à tout âge) de la production radiophonique. Ils permettent à tout moment une confrontation dynamique avec le producteur et le technicien (du son). Comment pourrait-on les rayer de la carte demain, au risque "de réduire les équipes [ce qui] n’empêchera pas Radio France de fonctionner, mais appauvrira ses productions et l’antenne, alors que les salariés observent déjà ces dernières années le recul des formes dites "élaborées de radio"" ? (9).

Car, il y a plusieurs types d'émissions. Les émissions de "Micro/Disque" (dites aussi "Les simples") qui, malgré tout, nécessitent l'oreille d'un réalisateur pour le rythme, les enchaînements, les inserts voix etc… (La matinale de France Inter, elle, n'a plus de réal depuis des années. Sa réalisation étant orchestrée par le technicien du son). Les émissions dites "élaborées" qui, on l'a vu plus haut, placent le réalisateur dans une position centrale. Si ces pratiques peuvent, comme dans tout métier évoluer, elles ne doivent pas l'être au détriment de la qualité, de leur forme et de leur contenu. Sinon adieu, fiction, documentaire, feuilleton et plus si affinités… à la destruction de l'art radiophonique. "Plus vous simplifiez la forme des émissions et moins vous avez besoin d’être plusieurs." (10)

Kriss, (productrice) Jean Garretto (réalisateur),
Joseph Rémiaux (technicien son), 

Serge Libert (opérateur)


















Une récente rencontre réalisateurs/direction (23/01) laisse augurer un processus de casse inquiétant. Qu'on en juge :
Forfait des heures de préparation remis en question (sauf pour les assistant-es, qui le conserveraient). Pour les réalisateurs ce serait modulable en fonction des producteurs et les chaînes auraient leur mot à dire (11). 
- Douze suppressions de postes à France musique : huit sur les directs dit "simples", et quatre sur beaucoup de captations qui n'auraient plus lieu. France Musique ne captant plus que ce qu'elle diffusera.

Au cours de cette rencontre, Bérénice Ravache (12) a annoncé "que les réalisateurs ne représentaient plus "une valeur ajoutée" suffisante pour que leur présence soit justifiée sur ces émissions dites "simples" et que les techniciens pourront, grâce à "l’autonomisation" (13), faire le travail du réalisateur"De la même façon que la direction prépare les techniciens son du Mouv' à l'"auto-réal", les techniciens des autres chaînes pourraient très vite être concernés pour de nombreuses émissions exceptés la fiction, le documentaire, les feuilletons. La disparition des réalisateurs de France Musique entérinerait le non retour d’émissions plus élaborées. A quoi bon alors rénover les studios moyens si France Musique ne produit plus d'émissions en public et ne contribue plus à faire entendre les artistes ? Sans les réalisateurs et sans les techniciens, ces émissions ne pourront plus exister.

Une révolution absolue pour l'"ADN" de la radio publique. On tire par le bas ce qui professionnellement était reconnu au plus haut. On bousille un service public, des femmes, des hommes, des savoirs-faire, des savoirs-être, une marque de fabrique. Suivant un adage bien connu : 

"Qui veut tuer la radio enrage… les chiens".

Une équipe de réalisation :
M. X - Guy SENAUX (tech. son)  

Robert ARNAUT (producteur)
Georges KIOSSEFF (réalisateur) 

Solange YANOWSKA (réalisatrice)
Laurent LEFEBVRE
















(1) PDV : Plan de Départs Volontaires, processus en cours à Radio France concernant 299 emplois,
(2) "A Radio France, les techniciens et les réalisateurs sont inquiets pour leur savoir-faire", Mouna El Mokhtari, Le Monde, 26 janvier 2020,
(3) Ni la Pédégère, ni la DRH, ni la directrice éditoriale, ni le "M. Chiffres" par ailleurs Directeur du Numérique et de la production, ni bon nombre de l'armée mexicaine de cadres de direction,

(4) Si bien sûr, les matinales sous leur douche, le" Masque et la plume" en retour de WE en voiture et le sacro-saint "Jeu d'Émile Euro" en famille en vacances ou le mercredi avec les enfants. Et, quand ils vous citent ces références-là, ils se pâment et roucoulent comme au temps de leurs premiers émois amoureux !

(5) Comme leur gourou absolu, Michel-Edouard Leclerc, qui vend des "Tickets Leclerc" et qui a rayé du territoire tout ce qui ressemblait à une épicerie, une mercerie, une boutique de confection, un fleuriste, un boucher, un charcutier, un poissonnier, un boulanger, un droguiste, un magasin d'électro ménager, une station essence, un centre auto, une maison de la presse, un caviste, 


Un Nagra datant de 1958 et pesant 9kg. D.R.













(6) cf 56ème jour de grève aujourd'hui, initiée le 25 novembre 2019 (interrompue pendant la trêve de Noël),
(7) Aussi le chargé de réalisation, le metteur en ondes, autres noms de la fonction,
(8) Si l'émission est diffusée "en différé" c'est le réalisateur qui la fera circuler dans le service ad hoc chargé de la diffusion antenne,

(9) Mouna El Mokhtari, Le Monde, op. cité,
(10) Un technicien du son cité par Mouna El Mokhtari, op. cité,
(11) Aujourd'hui réalisatrices et réalisateurs appartiennent à la Direction des Personnels de Production (DPP), une direction spécifique et ne sont pas fonctionnellement attachés à une chaîne particulière,

Jean Garretto, prod. et réal.,
Yann Paranthoën, technicien son,
Pierre Codou, prod. et réal.
(L'Oreille en coin, France Inter)














(12) Directrice de Fip a été, à l'automne dernier, "désignée chargée de mission pour la mise en œuvre du projet d’entreprise auprès de la Présidente, membre du Comex [Comité Exécutif] de Radio France. Compte tenu de sa connaissance de l’entreprise et de ses réalités opérationnelles, Bérénice Ravache accompagnera les chaînes dans la réalisation de leurs différents chantiers associés au projet". (source Radio France),

(13) Comprendre : les techniciens deviennent autonomes par rapport au réalisateur .  

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