lundi 9 mars 2020

Société, spectacle, radio, industriel… (et le podcast pour emballer le tout) !

Mettez ces quatre mots dans l'ordre que vous voulez. Avec ou sans Guy Debord (1), avec ou sans François Dupuy (2), avec ou sans César (3). Une machine infernale, genre rouleau compresseur est en train de tout aplatir, compresser, laminer. Et cette affaire absolument civilisationnelle a réussi à s'infiltrer dans la radio publique à petit pas, puis à grand renfort de parades, de postures (d'impostures) et de renoncements. "À la veille" de la future loi audiovisuelle d'autres fondements sont prêts à voler en éclat. Le triptyque "Informer, cultiver, distraire" (4) est enterré. Tout doit disparaître. Pour mieux faire jouer la farce…



Donc Dupuy, sociologue, reconnaît qu'"Il y a une forme de paresse intellectuelle terrifiante. On ne raisonne plus, on applique des recettes. On ne creuse pas la question de l'organisation et des hommes. On se contente de la connaissance ordinaire. Or, les sciences sociales le démontrent, une organisation humaine est tellement complexe que son fonctionnement n'apparaît pas à l'oeil nu." Et pourtant, avec toute l'arrogance qui la caractérise, Sibyle Veil, Pédégère du groupe public de radiophonie, n'a pas douté un seul instant de sa capacité à réorganiser Radio France, ne connaissant ni l'entreprise, ni son histoire, ni ses savoirs-faire. Juste des phrases apprises par cœur, désincarnées, récitées comme des mantras superfétatoires. Innover pour laminer un service public (5).

De compresser à… cons pressés il n'y a qu'un pas que d'aucuns franchissent allègrement se répandant, plus vite qu'un virus, de colloques numériques, en culs de bus, d'incantations dans la presse en salons tech spécialisés. Une fois le son compressé ne restait plus qu'à compresser les effectifs, les idées, les moyens. Sans oublier l'imaginaire et la poésie qui avaient animé Jean Tardieu ou Pierre Schaeffer. La poésie compressée, Ferré, aurait adoré chanter ça. Aujourd'hui oppressés par les chiffres les salariés de Radio France trouvent l'addition "un peu" lourde. "Ça crée du stress d'être gouverné par les chiffres et surtout d'être félicité par les rédacteurs en chef seulement quand ça marche, d'être reconnu quand Google est content." (6). Remplacer rédacteur en chef par directeur de chaîne et Google par Laurent Frisch (Directeur du Numérique et de la production à Radio France).


"Et nous nous aplatîmes devant podecast(e) et comprîmes qu'il faudrait avaler cette couleuvre comme on fit avaler aux enfants les poissons carrés" (7). Heureusement il y a Findus. Vous aurez noté que dans ce dernier mot on entend bien "indus" qui nous rappelle les vertiges de l'alimentation industrielle. Alors, que chaque jour nous alerte que tel grand groupe se "lance" dans le podcast, telle mairie s'y jette à corps (électoral) perdu, tel groupe de presse s'y vautre mieux que les cochons dans leur soue, on se demande où restent les cerveaux disponibles… à l'écoute. Pourtant, on s'épuise à rappeler que le podcast est un support, juste un peu plus nouveau que la cassette audio mais tout juste ! L'inquiétant c'est que les élus, les tutelles, le gouvernement commence à brandir la chose comme un véritable sésame à la pompe à phynance et qu'il n'y aurait qu'un pas à passer la création sonore et radiophonique par pertes et profits.

La voilà, la grosse farce ! Pourtant il est des chemins et des sentes, des docks et des petites épiceries, des places et des îlots où se créent des sons, des docs, des parlures et parlottes de bonnes compagnies, des reportages sans format (a-lités) qui fédèrent l'inattendu, les imaginaires débridés, la joie créative qu'une grande maison ronde à laisser s'enfuir. Ces artisanats-là résistent et résisteront à l'industrialisation, au pitch, au prêt à digérer (les poissons carrés). Fallait pas vouloir nous faire avaler les couleuvres de la Start-Up Podcast (Sup de Po). Alors de la Sup à la soupe… 





(1) "La société du spectacle", Guy Debord,  Buchet-Chastel, 1967,
(2) "Après "Lost in management", le sociologue François Dupuy publie aux éditions du Seuil, « La faillite de la pensée managériale". Il y décortique les raisons pour lesquelles le management tel qu'il est pratiqué échoue et produit cynisme et désengagement. Par "paresse intellectuelle", les acquis des sciences sociales, qui éviteraient bien des erreurs, sont ignorés par des dirigeants qui ont épousé la cause de la pensée financière. Un réquisitoire revigorant" (in, Christophe Bys, "L'Usine Nouvelle", 16 janvier 2015),

(3) César, sculpteur français (1921-1998) connu pour ses compressions,
(4) La loi de 1964 créant l'ORTF a défini, pour la première fois, le rôle de la télévision [et de la radio, of course] en termes d'offre de programmes : "satisfaire les besoins d'information, de culture, d'éducation et de distraction du public". Dans la future loi audiovisuelle ces trois orientations seraient diluées…
(5) "… la valeur la plus souvent mentionnée dans les entreprises est l'innovation. Or que voit-on ? Une multiplication des systèmes de contrôle, un enfermement de l'action dans ces systèmes." François Dupuy, in op. cit.,

(6) "Écrire plus pour gagner moins : quand la course à l'audience tue le journalisme", Justine Reix, Vice, 5 mars 2020,
(7) Extrait de "La méthode podcastic", en cours d'élaboration, que Radio Fañch a pu se procurer. La reprise du slogan qui suit n'est pas de moi, nous en reparlerons bientôt. 

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