lundi 26 décembre 2022

Le Québec de Pierre Perrault : un conte pour Noël…

Quand on a passé une bonne partie de sa vie avec la radio - dans la radio - et qu'on se désole de la tournure que prennent les choses radiophoniques, tomber (des nues) sur "Le bon plaisir de Pierre Perrault", ouvre grand porte et fenêtres, suspend le temps et nous remet d'un coup de baguette magique en 1995. Ce samedi 10 octobre là, je rentre de formation à Panam', comme ce sera le cas jusqu'en juillet 96. Quand je rentre à la maison, je n'écoute pas la radio, accaparé par la famille et ce qui tourne autour. Pourtant cette émission est mon vrai bon plaisir d'auditeur, scotché sur France Culture depuis 1985.

Pierre Perrault









François Maspero (libraire, éditeur, écrivain, traducteur) a créé avec le soutien de Jean-Marie Borzeix, directeur de la chaîne (1984-1997), Le bon plaisir, émission-hommage à des femmes et des hommes pour lesquels, pendant plus de 3 heures une productrice, un producteur en brossera un portrait singulier et foisonnant. Alors pour ce moment-là, il s'agit bien de se mettre en position confortable d'écoute et de se laisser porter.

Depuis l'adolescence j'ai un attachement au Québec. Par la chanson, la poésie et l'histoire (1). Mais je me demande encore pourquoi, comment j'ai pu si longtemps échapper à Perrault ? Et si comme le dit Michel Serres au début de l'émission "On ne peut pas connaître le Québec si on ne connaît pas Pierre Perrault", je vais enfin réparer une grosse lacune. Marie-Hélène Fraïssé, productrice à France Culture, ouvre des pistes infinies, aussi bien sur les terres du poète, du documentariste radio, du cinéaste, de l'homme pétri d'humanité, que sur les chemins de la création. Les chemins de la voix. Ces voix que Perrault s'est attaché à faire entendre tout au long de ses vagabondages oniriques, ancrés dans des morceaux de réel. En ne s'aventurant jamais dans la fiction.

Pour ce Bon plaisir réalisé par Rosemary Courcelle, Fraïssé connaissait Perrault depuis une quinzaine d'années par l'intermédiaire de Jacques Douai, chanteur français, ami de Luc Bérimont, poète et producteur de radio, premier mari de Marie-Hélène. L'émission-hommage est l'occasion de brosser - en long et en large (comme le Québec) - le portrait d'un homme qui, non seulement a donné la parole aux siens, mais a fixé le passage de La belle province, de ses racines à la révolution culturelle à l'aune des années 60.

"Pour la suite du monde", P. Perrault, Film 1962









C'est assez magique que Perrault nous livre la petite histoire de ses débuts de documentariste, persuadé qu'il doit "enregistrer" mais ne sachant pas comment faire. Cette humilité et cette franchise sont touchantes. Son tâtonnement expérimental qui aurait beaucoup plus à Célestin Freinet (pédagogue) donne encore plus d'authenticité et de vécu à ses expériences sonores. "Je ne voulais pas dire, mais faire dire, pas témoigner puisque les témoins étaient encore vivants… Dans ma façon d'appréhender le monde il y a quelque chose de physique, j'ai besoin de remplir mes bottes… " Magnifique expression pour dire être avec, dedans, partie prenante. De ses contacts, de ses engagements (ici à la pêche au marsouin) "une fraternité s'établissait, je me sentais chez moi, dans mon pays…" (2).

Il est bon d'entendre la passion et la référence quasi permanente de Perrault à Jacques Cartier, malouin découvreur de nouvelles terres qu'il nomme Canada (tiré du mot iroquoien kanata). On pourrait dire que Perrault est le passeur de l'aventure humaine, des exploits de Cartier à ceux des pêcheurs de marsouins dont il fait quelques fantastiques épopées vécues de l'intérieur. Perrault s'intéresse à la parlure québécoise, au langage de ce pays… C'est bon alors d'entendre conter avec autant de vigueur et de souffle. De conter pour ses voisins, ses amis, une petite communauté visible qu'on touche de près. Sans qu'il soit besoin que le monde entier s'en empare ! 

Perrault a cet engagement farouche pour la langue, pour une possession nouvelle qui irait avec une possession nouvelle de leur pays par les Québécois eux-mêmes mais qui échouera le 30 octobre 1995. Cet enracinement-là infuse dans sa poésie, ses documentaires radio et son cinéma. Juste avant le grand laminoir de la modélisation mondiale, il fait bon entendre L'encan chanté par Félix (Leclerc). "L'ennemi c'est celui qui s'installe dans ta tête pour remplacer ton bagage" dit Perrault, convaincu que l'impérialisme culturel des États (Unis) détruit les identités, les particularismes et les savoirs autochtones.

"On a beau dire, tous mes moyens sont bons pour m'effacer de mon passage. 
On aura beau faire ils n'auront de cesse que je disparaisse 
dans le grand tout pareil de leur bienveillance à mains armées jusqu'aux dents. 
Et ils embauchent mes Charlebois, et ils recrutent mes paysages 
de Cacouna à la Malbaie, pour nous rendre la Québécoisie semblable à leur Pepsi." (3)

***
Merci à Marie-Hélène Fraïssé d'avoir fait un "petit" retour en arrière pour évoquer cet hommage. Elle qui, en son temps, aimait nouer les histoires, les préparer elle-même, refuser les quotidiennes, organiser des rencontres à partir de vrais liens, et s'installer dans le temps long de ces rencontres… Ici, visiter tout l'univers d'un créateur, "un homme de la parole qui a découvert l'image".

L'Isle-Aux-Coudres, Québec
(L'île-Aux-Noisetiers)















(1) Le 30 octobre 1995, deux jours après la diffusion de ce Bon plaisir, les Québécois sont invités à se prononcer par référendum sur la souveraineté du Québec. 50,58% iront en faveur du non,
(2) Que j'aurais aimé de son vivant rencontrer Perrault et l'écouter conter ses belles histoires. Quand il aurait évoqué les marsouins, qu'ici il nomme du nom breton morhoc'h, ç'aurait été l'occasion de lui dire que les bretons ont un langage imagé tant ils nomment le marsouin, cochon de mer…
(3) "Gélivures", Pierre Perrault, Éditions de l'hexagone, 1977. Extrait lu par Claude Duneton.

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