La semaine dernière Erwan Gaucher publiait sur son blog un article sensationnel "Les radios sont-elles à la traîne sur le web" ? Bigre ? À la traîne de quoi ? À la traîne de qui ? Dès les premières lignes de l'article on trouve des statistiques, dues à Médiamétrie, concernant "Les sites médias les plus fréquentés en mars", qui mélangent des sites de presse et des sites de radio. On apprend que Le Monde/Huffington Post est en tête (9,6 millions de visiteurs uniques) et que la première radio, en sixième position, est Skyrock (6,6 millions de visiteurs uniques). CQFD. Un tel résultat montre immédiatement qu'il y avait un certain risque à additionner des carottes et des poireaux. La presse publie des informations écrites sur papier et sur le web. La radio diffuse des informations et d'autres programmes de façon originelle via un récepteur et par l'intermédiaire du web.
Mais et c'est bien là que le bât blesse, la plupart des radios ne diffusant pas exclusivement des infos comment peut-on comparer des audiences incomparables ? Toutes radios confondues ce sont 43 millions d'auditeurs qui l'écoutent chaque jour, jusqu'à preuve du contraire tous journaux confondus n'ont pas, loin s'en faut, ce niveau d'audience. D'autre part je ne m'attends pas quand je lis un journal y trouver tout à fait les informations traitées de la même façon qu'en radio. Inversement en radio j'attends autre chose que la lecture de la presse. Ici la "chronologie des médias" est plutôt, radio dès le réveil, puis de façon aléatoire ou systématique lecture de la presse (sur quelques supports que ce soit).
Dans tous les cas si l'on se réfère à ce "classement" pour le moins anachronique on se demande bien pourquoi les radios devraient absolument avoir un niveau d'audience web comparable à celui de la presse ? Question d'époque ? De modernité furieuse ? D'obligation d'être tendance vaille que vaille ? Mais dans tous les cas au titre de quoi cette époque, cette modernité ou cette tendance ? Il est absolument invraisemblable de présenter au titre d'une concurrence, deux médias qui originellement ne sont pas en opposition mais absolument complémentaires. Et jusqu'à preuve du contraire tous les jours, dans de nombreuses émissions d'information, la presse est citée et souvent valorisée dans le cadre des "revues de presse". Inversement comment la presse valorise t-elle la radio ? Il n'y a pas de Médiamétrie, pas de sites web, pas de journaliste pour pointer du doigt cette carence.
Revue de presse de Bruno Duvic, France Inter |
D'autre part la radio ayant joué le jeu de la presse (1), comment souvent ne pas être tenté d'acheter un journal (et de le lire) ou d'aller sur son site web lire des informations gratuites ou payantes ? Qui voudra bien analyser le pouvoir de prescription de la radio pour la presse ?
La part d'information dans les radios généralistes, si elle occupe des cases stratégiques d'écoute, est loin de représenter en durée plus d'un quart des programmes diffusés en 24 heures. Mais toutes les radios annoncent en permanence que des compléments d'information sont publiés sur leurs sites web. La radio a t-elle vocation de faire la même chose que la presse qui duplique et enrichit ses informations parues sur le support papier ? La radio, sur le web, propose à la réécoute la session d'information et l'enrichit s'il y a lieu.
On voit donc bien que la comparaison des deux médias en terme d'audience sur le registre de l'information ne tient pas. Tout simplement parce qu'il aurait fallu pour rendre les choses comparables qu'on analyse les audiences des contenus d'information des sites web des radios et uniquement cela, et que l'on considère quand même, un minimum, que la forme audio n'a rien à voir avec la forme écrite (même si tous les papiers sont écrits avant d'être lus), et que le "rapprochement" des deux en terme d'édition n'est pas si évident que ça.
Quant à l'assertion, publiée dans l'article, " Les radios françaises ont totalement raté le virage de l'information numérique, explique ce cadre d'une grande station nationale.", on aimerait bien que le dit-cadre réponde à cette question : "À trop vouloir que la radio reproduise le modèle d'édition de la presse écrite, ne risque t-on pas d'assister, à terme, à une diminution de fréquentation des sites web de la presse papier ?" Car au final le nombre de lecteurs potentiels reste le même, le temps dont chacun dispose pour lire n'est pas extensible et cette concurrence exarcerbée n'aura servi qu'à courir après une carotte sans avoir su mesurer les effets du bâton.
Une dernière chose plus dommageable cet article laisse entendre que la radio serait dépassée ou se serait laissée dépassée (3). Avec les mêmes "à priori" d'analyse, Erwan Gaucher pourrait-il analyser l'audience des journaux qui se sont risqués à faire de l'audio ? Je lui soumets le titre de son article "Les journaux à la traîne pour faire de la radio sur le web".
(1) Des journées de France Culture "cause commune et antenne partagée" avec six grands titres de la presse quotidienne nationale. La Croix, Libé, Le Figaro, Le Monde, L'Humanité, Le Parisien,
2) D'autre part on sait que les audiences podcast des émissions de programme des radios généralistes (Inter, Europe 1, RTL) réalisent de très bons chiffres,
(3) On aimerait que la citation qui fait la description de l'enquête 126 000 de Médiamétrie soit sourcée, ainsi que toutes celles de l'article.
Entièrement d'accord avec ce billet. C'était le sens de mon intervention dans les commentaires du blog d'Erwan Gaucher.
RépondreSupprimerTout ceci témoigne bien d'une confusion de plus en plus grande entre les médias et leurs particularités Si les radios développent des services web pour faire le même travail que les sites web de journaux papier, on ne peut pas qualifier les journalistes qui y travaillent de "journalistes radio", mais bien de "journalistes web" employés par une radio, qui profite de l'aura de sa marque pour diversifier ses activités.
Toujours intéressant de voir un avis argumenté sur un de ses billets, mais je pense qu'il y a une incompréhension de départ. Il ne s'agit pas de comparer des carottes et des poireaux, mais de mettre en regarde deux choses qui sont en concurrences et en relation directe. Pourquoi comparer les radios et la presse écrite ? Pour un point commun assez fort : l'info.
RépondreSupprimerPour reprendre vos remarques dans l'ordre :
- les radios ne diffusent pas que de l'info ? Non, comme les journaux ne sont pas composés uniquement d'infos. Mais tout comme la presse écrite, l'info constitue un des coeurs d'offre des radios généralistes. Elle occupe les tranches stratégiques des antennes et se fait grâce à des rédactions parmi les plus importantes et les plus réputées.
Or que constate-t-on depuis un peu plus de 10 ans ? Les usages de consommation de l'information sont totalement bouleversés. Et ce pour tous les médias : la presse écrite, la télévision, et la radio. La comparaison se situe sur ce terrain là, et s'articule autour du constat que je fais moi-même, mais qui est recoupé par de nombreux acteurs du terrain de la radio : ce média, qui est pourtant sans doute le plus web compatible, est largement distancé pour les internautes dans l'accès à l'information par la presse écrite. Il n'est dans mon billet pas question de porter un jugement, ce n'est ni bien ou mal, mais de dresser un portrait et d'essayer de comprendre pourquoi.
Pourquoi comprendre ? Parce que se dire que la radio est épargné par les mutations de l'information est, à mon sens, une grave erreur. Du genre de celles qui ont plombé bien des industries face aux mutations numériques. Là encore, pas de jugement de valeur, juste un constat. Ce n'est pas une question d'époque ou de mode, simplement un constat et les questions que cela pose. On peut tout à fait en conclure que les radios n'ont pas à chercher à être performantes dans l'info numérique. Ce n'est pas mon avis, mais pourquoi pas. Cela ne rend pas la comparaison et la problématique moins intéressante pour autant.
La comparaison tient. Elle tient pour les rédactions dans la difficile compétition qui est aujourd'hui lancée pour capter l'attention des consommateurs d'informations sur les nouveaux écrans. Pas par mode, pas "pour faire comme les autres", juste parce qu'il s'agit de l'un des usages massifs aujourd'hui.
Cette mutation de l'info radiophonique sur le web doit-elle se faire par l'écrit ? Non, pas forcément. Le son pourrait trouver lui aussi sa traduction numérique comme l'écrit l'a trouvé.
- Les journaux qui se sont risqués à faire de l'audio ? Voila qui pourrait faire un billet intéressant, en effet, mais ce n'était pas l'angle du mien. Et comme il me reste quelques souvenirs des heures passées à user mes fonds de jeans sur les bancs moulus de l'école de journalisme, il me revient à l'esprit ce commandement : un article, un angle. Pourquoi pas une prochaine fois ?
- Pourquoi les citations ne sont pas attribuées ? Parce que les deux cadres de radios nationales qui ont accepté de me parler l'ont exigé. Ont-ils peur ? Oui, sans doute un peu. La situation dans plusieurs radios, comme dans beaucoup d'entreprises médias, est tendue actuellement. Et il ne fait pas toujours bon dénoncer le manque de vision de sa direction.
Erwann Gaucher
Erwann Gaucher
SupprimerMais tout comme la presse écrite, l'info constitue un des coœurs d'offre des radios généralistes. Elle occupe les tranches stratégiques des antennes et se fait grâce à des rédactions parmi les plus importantes et les plus réputées.
Ma réponse
L’histoire même des radios montre que ce n’est pas l’info qui a incité à leur création. Il est juste de bon de le rappeler de temps en temps. Quant au «cœur d’offre des radios généralistes» je ne suis pas d’accord. J’ai assisté à deux conférences de presse de rentrée de Radio France et ai entendu chacun des directeurs des 7 chaines du Groupe présenter avec moults détails l’ensemble des programmes. Cette volonté hégémonique des journalistes de vouloir que l’info soit reine est une vue corporatiste et ne correspond pas à la réalité de l’usage des dites radios généralistes. Tous les auditeurs d’Inter, d’Europe 1 et de RTL pourraient vous citer les heures qu’ils passent à écouter d’autres émissions que celles concernant l’info.
Erwann Gaucher
Ce média, qui est pourtant sans doute le plus web compatible, est largement distancé pour les internautes dans l'accès à l'information par la presse écrite.
Ma réponse
Alors là je ne comprends absolument pas cette affirmation. Ajoutez tous les auditeurs quotidiens des trois chaines généralistes et expliquez moi comment c’est moins que la lecture quotidienne des sites d’infos. Et dans tous les cas vous ne répondez pas au fait qu’un auditeur peut aussi se rendre sur un site d’info et inversement un lecteur sur un site de radio. Pourquoi la radio devrait faire encore plus que ce qu’elle fait en diffusant des infos qui seraient à lire sur son site ? Au titre de quoi ? Je le redis pourquoi ne demande t-on pas aux journaux de faire des sites audio ? Mais d’où viens donc cette tarte à la crème que ce serait les sites d’infos qui seraient les maîtres étalons de l’info. Là encore vous n’avez pas répondu.
Erwan Gaucher
Parce que se dire que la radio est épargné par les mutations de l'information est, à mon sens, une grave erreur.
Ma réponse
Je rêve ! Comment pouvez-vous dire des choses pareilles ? Depuis son arrivée à la tête des Nouveaux Médias de Radio France, Joel Ronez n’a-t-il pas tout mis en œuvre pour que tous les supports susceptibles de recevoir les émissions radio le soient hors le récepteur hertzien. La refonte des sites, l’incitation au flux tweeter, la création de NouvOson, les webdocs vous trouvez que ce n’est pas être dans le mouvement du numérique ? Expliquez !
Erwann Gaucher
Elle tient pour les rédactions dans la difficile compétition qui est aujourd'hui lancée pour capter l'attention des consommateurs d'informations sur les nouveaux écrans.
Ma réponse
Donc pour vous l’écoute radio n’est pas probante. Vous demandez à ce média d’en faire plus pour être sur les écrans mais passez sous silence tout ce qui participe à rendre RF présente sur les dits écrans comme je l’écris ci-dessus.
Erwann Gaucher
Cette mutation de l'info radiophonique sur le web doit-elle se faire par l'écrit ? Non, pas forcément. Le son pourrait trouver lui aussi sa traduction numérique comme l'écrit l'a trouvé.
Ma réponse
Ben oui quand même, et c’est ce à quoi s’emploient les équipes des Nouveaux Médias de Radio France
Erwan Gaucher
SupprimerUn article, un angle. Pourquoi pas une prochaine fois ?
Ma réponse
Je ne manquerai d’y apporter mes commentaires
Erwann Gaucher
Pourquoi les citations ne sont pas attribuées ? Parce que les deux cadres de radios nationales qui ont accepté de me parler l'ont exigé. Ont-ils peur ? Oui, sans doute un peu. La situation dans plusieurs radios, comme dans beaucoup d'entreprises médias, est tendue actuellement. Et il ne fait pas toujours bon dénoncer le manque de vision de sa direction.
Ma réponse
C’est une pratique qui se développe de plus en plus et qui bloque absolument l’information. Pour ceux-là mêmes qui la défendent becs et ongles c’est un sacré paradoxe. Le journaliste pousse à bout son interlocuteur pour qu’il s’engage et quand ce même journaliste ou cadre média est incité à s’engager il se désengage. À ma propre «école de journaliste» on essayait de combattre une maxime «Faites ce que je vous dis, ne faites pas ce que je fais»
Ce débat m'amène à reposer une question qui me paraît fondamentale : est-ce vraiment dommage que les radios aient une présence en ligne moindre que la presse écrite ?
RépondreSupprimerSachant que le web est une alternative au "dérangement" que constitue l'achat d'un journal papier (prix, déplacement en kiosque, etc.), mais que tourner le bouton d'un poste de radio reste une démarche encore plus simple que d'allumer un ordinateur (ou une tablette, ou un smartphone), que la lecture et l'écoute demeurent deux pratiques différentes...
... je suis amené à me dire que fondamentalement, non.
Dans un second temps, c'est évidemment une chance que les archives sonores soient consultables en ligne, que des compléments d'info y soient publiés, qu'Internet offre l'opportunité d'écouter infiniment plus de radio qu'en FM et que le lien avec les stations soit renforcé par l'intermédiaire des réseaux sociaux.