©Thibault Grouas |
Il est des phares au-delà de la Bretagne. Si ! Cordouan, majestueux trône à l'embouchure de l'estuaire de la Gironde. Un peu de son histoire va nous être contée, en fin d'après-midi par Jean-Paul Eymond, ancien gardien du phare, Cathy, sa femme, et Vincent Guigueno, historien, dans le documentaire de Christian Rosset et François Teste (1). Pour moi qui ai pu, presque chaque jour de ma vie, voir des phares en mer le jour, et l'éclat de leur lanterne la nuit, je pensais que la dernière relève des derniers gardiens de phares français (2) marquerait la fin d'une épopée ou plutôt la fin d'une présence humaine en mer, hors les bateaux qui y circulent. Le début de la fin avait commencé en avril 1995 quand cette corporation de "gens de mer" avait fait grève, en installant sur tous les phares de France un "son et lumière" permanent, c'est à dire lanterne allumée en plein jour, et corne de brume jour et nuit.
Rosset, Teste et Le Hors (ingénieur du son) ont abordé Cordouan à basse-mer en cheminant sur les bancs de sable qui entourent le phare, pieds nus dans les flaques de mer, petits bonhommes minuscules face au géant dressé qui en avait vu d'autres. Jean-Paul Eymond lui, gambadait presque pour rejoindre son phare. Cette "dimension" d'approche, presque hors documentaire, mériterait à elle-seule d'être racontée tant, comme pour l'île de Sein hier, atteindre l'objectif est en soi aussi important que l'objectif lui-même. Des conditions faciles d'accès auraient, de fait, changé les points de vue (c'est le cas de le dire) et auraient pu ressembler à une promenade touristique. Cordouan, Ar men, Les Pierres noires, La Jument, Le Four, L'île Vierge comme d'autres phares en mer se méritent.
Jean-Paul Eymond sait nous rappeler que, jeune gardien, il a dû "apprivoiser" les silences et les bruits lugubres dans et autour de son phare, mais il sait aussi parfaitement faire le guide pour décrire ce qu'à l'approche chacun peut voir. Mais, les gaillards qui viennent de débarquer ne l'écoutent que d'une oreille, préoccupés par la distance qui les sépare du phare, la pénibilité de marcher dans le sable mouillé tout en portant Nagra, perche et "tout le fourbi". Il doit être assez rare dans un documentaire d'entendre le preneur de son, ici Yves Le Hors, dire à François Teste "Si j'avais su je t'aurais donné un sac à dos (pour porter le matériel plus facilement), je ne savais pas qu'il fallait faire "tout ça" !". Vous écouterez attentivement la marche "sur" l'eau et le joli clapot créé par les pieds refroidis. Il n'y a d'ailleurs pas que les pieds des hommes de radio qui semblent refroidis.
Vincent Guigueno dit les mots justes, "dans un phare vous êtes dans un bateau qui ne bouge pas, et le rythme fondamental c'est le feu, et la garde du feu, le rythme de la relève et le rythme de la vie professionnelle." Il faut y ajouter bien sûr le rythme de la marée et celui du jour et de la nuit. On le voit, cette mesure des choses des éléments naturels, des conditions de "vie", de l'alternance même du jour et de la nuit, prennent en mer une autre dimension. Physique, morale et existentielle et ça, vouloir en rendre compte en une heure, est une vraie gageure.
Ce documentaire montre comment, en approfondissant ce qui ici a été effleuré, on pourrait "pousser" la connaissance et disposer à terme d'une source documentaire enrichie pour ce "lieu de mémoire" qu'est le phare de Cordouan. Cathy, la femme du gardien, l'appréhende très bien pour évoquer la solitude, la communication, mais aussi l'isolement, l'étendue géographique, les sens en éveil et en veille décuplés. Il faudrait "vivre avec", bien plus que de décrire et ainsi, laisser une trace sensible de la vie de gardien de phare, qui, au-delà du récit, a besoin des voix, des silences et des bruits lugubres.
Demain, je vous proposerai le off de ce documentaire
puisque j'ai eu le plaisir d'être du voyage…
(1) France Culture, Sur les docks, 17h,
(2) En juillet 2012,
On attend le "off" puisque Fanch était là ! Espion bienveillant ? Sans doute, et à l'origine du doc. Car, sans son initiative, de doc, il n'y aurait pas. Ceci dit, oui, superficiel, mais sans dilettantisme, car, pour approfondir la question du phare, il aurait fallu y passer plusieurs nuits, et c'était impossible... On ne peut faire comme Paranthoën quand on est lié au quotidien d'une radio d'État (France Culture - merci à elle d'exister !). Il y a des règles. Économiques, entre autres. Mais je ne regrette rien, car mon domaine, c'est l'art. La "création". Et la fiction. À partir du moment où je sens le souffle de Montaigne quand je pénètre le phare (et aussi celui de Michelet), je me sens à l'aise. Comme j'ai senti, réellement, que Montaigne et Michelet étaient à mes côtés, je me sens libre d'écouter; de prendre distance et d'assumer ! Merci Fanch.
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