Commençons par le titre. Paru il y a quelques jours (1), "La saga de France Inter" avec sa couverture très noire et un peu rouge serait sensée évoquer à l'appui de ce code graphique : révélations, affaires et autres secrets enfouis, que les deux ex-journalistes de Télérama, Anne-Marie Gustave et Valérie Péronnet, vont sans doute nous révéler au cours des deux-cent-soixante et onze pages de leur enquête. J'ai d'abord consulté le dico pour vérifier le sens de "saga" (épopée familiale) et suis resté assez dubitatif quant au sous-titre de l'ouvrage "Amour, grèves et beautés". Ce titre parodique et suranné d' "Amour, gloire et beauté" stigmatise d'emblée des mouvements sociaux qui, ainsi mis en avant en couverture, préviennent le lecteur qu'au sein de la radio publique ces mouvements seraient sinon permanents du moins largement constitutionnels. Les partenaires sociaux de Radio France apprécieront (2). Alors ce livre, comme vous pouvez l'imaginer, je l'ai lu avidement... J'ai pris mon crayon et mon stabilo et ai commencé à surligner ou souligner des phrases, des mots, des citations. Et en moins de vingt-quatre heures j'ai été, tour à tour, surpris, interloqué ou séduit.
Surpris assez vite pour quelques erreurs factuelles de dates qui trop accumulées perturbent la lecture du... connaisseur (3). Mais d'autres erreurs sont beaucoup plus surprenantes : Jacqueline Baudrier n'a jamais été PDG de l'ORTF (4) et si RFI est une filiale de Radio France en 1982, elle est indépendante depuis 1987 (5). Tant qu'à faire une saga que chacun s'y retrouve, à sa place et en bon ordre !
Interloqué à plusieurs reprises. Qu'on nous prenne, encore et toujours, pour des gogos vis à vis de la pub dite "pour des organismes collectifs et d'intérêt général", soit, on a l'habitude. Mais les journalistes ont-elles avec leurs propres oreilles écouté les spots concernant : Les poulets du Gers, MMA ou autres banquassurances spécialistes de l'intérêt... particulier ? Que pour évoquer les années de direction de programme de Jean Garretto (1983-1989) Gustave et Péronnet écrivent " [il] propose une grille remplie de "pleins et de déliés"… Rien de révolutionnaire…" Si, tout à fait révolutionnaire car jamais tenté et mis à l'antenne avec une telle conviction pour changer les rythmes. Mais cette affirmation fait l'impasse sur la très grosse grogne des "barons" Chancel, Artur, Bouteiller et Villers, prêts eux aussi à faire la contre-révolution pour le crime de lèse-majesté qui voit chambouler leurs horaires et diminuer leurs temps d'émissions respectives. Et le conteur Stéphane Pizella, né en 1909, n'a pas commencé sa carrière radio à France Inter, mais au "Programme parisien" en 1950. C'est en 1964 qu'il rejoindra la chaîne publique de l'ORTF. Pour la saison 1968-1969, il n'apparaît déjà plus dans les grilles de programme. Il décèdera en 1970.
Logo de 1963 |
Séduit pour les informations et l'histoire bien détaillés des programmes d'information d'Inter que je connais moins. J'ai écouté ces programmes mais sans passion. Séduit aussi des confidences d'un Foulquier qui, malgré un départ désastreux (non de son fait) dit toute sa passion d'une radio qui lui a "tout" donné. Les confidences de Gérard Courchelle sont aussi savoureuses et émouvantes et ajoutent de l'humanité aux sessions d'information qu'il a animées avec (pour moi) un gros supplément d'âme. Il en va ainsi d'autres témoins qui ont pu faire part de la passion qu'ils ont mise à exercer leurs fonctions.
Pour autant s'agit-il d'une saga ? Le découpage en chapitres thématiques rompt un peu la chronologie et met en lumière des émissions, des époques et des personnages dans une sorte de kaléidoscope ou de mosaïque d'éléments juxtaposés mais pas forcément liés entre eux. Il y a plein de "poursuites", pleins de gros-plans mais on distingue mal la famille globale d'Inter (6). La lumière est devant les ténors, mais derrière, les autres, ceux qui aussi ont fait la "patte" d'Inter où sont-ils dans ce livre ? Quant au statut des "producteurs-animateurs" (qui concerne les sept chaînes du groupe et pas que France Inter) c'est bien d'en souligner (à la fin du livre) la précarité mais pourquoi ne pas avoir demandé aux anciens Pdg ou au président "tout puissant" du CSA ce qu'ils envisageaient comme évolution pour ces statuts ?
Quant aux auditeurs-lecteurs je ne sais pas comment ils réagiront à la lecture de cette "saga" ? Peut-être trouveront-ils qu'il manque beaucoup de monde sur la photo de famille ? Ils s'interrogeront sans doute sur le fait qu'"on" ait pu oublier telle ou tel, qui pourtant avec brio avait su bouleverser l'écoute d'un jour ou d'une saison ? Quant aux professionnels de la profession ?
(1) Chez Pygmalion dans la collection "Histoires secrètes",
(2) Mais c'est peut-être une façon de donner envie de lire ?
(3) Bernard Lenoir, page 43, n'a pas tenu le micro pendant plus de vingt ans mais pendant plus de… trente ans (1978-2011). Quant à Elkabach, page 74, il n'allait pas animer une réunion des jeunesses RPR en 1968, mais plutôt UNR. Le RPR ayant été créé en 1976. Page 167 ce n'est pas à "la rentrée 69" que Garretto et Codou réinventent les week-ends de France Inter mais le 30 mars… 68, première de l'émission TSF 68. Pierre Bouteiller (page 168) supprime non seulement L'oreille en coin du dimanche matin, mais aussi celle du samedi après-midi. Jean-François Kahn et Gilles Davidas ont créé "Avec tambour et trompettes" et non pas "Sans tambour ni trompette" (page 184),… (mes points de suspension initiaux voulaient laisser comprendre qu'il y avait malheureusement beaucoup d'autres erreurs de ce type tout au long de cette "non-saga")
(4) Page 25, mais de Radio France en 1974,
(5) Il aurait été utile de le préciser page 30,
(6) À l'occasion de l'hommage rendu à Jean Garretto fin octobre 2012 à la Maison de la radio, tous les animateurs et ingé-sons de l'Oreille en coin ont reconnu faire partie d'une vraie famille.
Merci pour tous ces petits détails et erreurs que vous avez relevé dans ce livre. Il faudrait bien entendu le lire avant de pouvoir donner un avis pertinent, mais en même temps, même si ces deux journalistes de Télérama ont beaucoup parcouru les couloirs de France Inter au cours des années pour recueillir des infos sur les programmes d'Inter et écrire moult papiers dans leur journal au cours du temps, j'ai du mal à comprendre leur légitimité à écrire ce livre et même leur intérêt à le faire et particulièrement à "dénoncer" si c'est le cas, les mouvements de grève qui ont effectivement construit l'histoire de cette radio.
RépondreSupprimerLa dernière grève dont j'ai le souvenir, c'est celle des techniciens d'Inter en janvier dernier, qui face à la possible suppression de 4 de leurs postes pour cause de réaménagement des nuits d'Inter, ont dû se battre pour réaménager leurs plannings en concertation avec leur direction. Ce qu'ils ont obtenu. Mais le résultat à chaque vague de sondages depuis cette date, c'est que la direction n'a rien trouvé de mieux que de clamer haut et fort que si les sondages des matinales avaient baissé, c'était de leur faute, On rêve !!! Bonjour les examens de conscience de la direction !!! ;-)) Ces deux journalistes en font-elles autant ?
Quant à l'oubli des "professionnels de la profession", et de ceux qui mettent leur patte à la couleur de l'antenne, il est récurrent et pratiqué depuis toujours même au sein de France Inter. J'ai juste le souvenir d'un seul papier de Télérama sur deux réalisateurs, Michèle Soulier et Bruno Carpentier, un en 50 ans ... c'est assez peu ... quant aux directions successives de France Inter, il a fallu attendre l'arrivée de Frédéric Schlessinger en 2006 pour voir la création d'un pool d'antenne donnant la parole aux réalisateurs enfin reconnus comme partie prenante de cette radio et dont l'avis "compte", alors pourquoi les journalistes les prendraient-ils en compte dans l'histoire de la "famille" ...
Enfin bon, peu importe, je réserve mon avis sur ce livre, bien entendu, tant que je ne l'ai pas lu et puis même je dois avouer que je ne suis pas très sûre d'avoir envie de mettre de l'argent dans l'achat de ce livre ... à moins que quelque bonne âme qui l'aurait reçu en service de presse ait la gentillesse de me le passer ;-))
Adèle
Je n'ai pas encore lu le livre (dont, je l'avoue, j'apprends grâce à Radio Fañch la sortie) mais -ayant toute confiance dans le jugement et les connaissances éprouvées de Fañch- j'ai l'impression que l'éditeur Pygmalion devrait contacter d'urgence l'auteur de ce blog afin qu'il l'autorise à considérer le billet de ce jour comme une indispensable préface à l'ouvrage des deux ex-journalistes de Télérama, Anne-Marie Gustave et Valérie Péronnet pour l'intégrer illico pour la prochaine édition si prochaine édition il y a. Tous comptes faits, les approximations et erreurs citées me semblent effarantes, comme si Wikipedia avait servi de base d'information. En tous les cas, le billet m'a donné envie de me procurer le livre sur le champ :-). Je vais donc toutefois achever dans les meilleurs délais la (re-) lecture passionnante du "Naufragé volontaire" d'Alain Bombard -je ne peux me résoudre à l'abandonner, lui dont l'aventure extraordinaire avait déjà bercé mes quatorze ans ! Puis j'embarquerai pour ma part à bord du vaisseau(-amiral de Radio France, autre nom de France Inter. En avant... (toute-toute-toute-toute comme les 4 tops !)
RépondreSupprimerJe suis d'accord avec votre critique ; j'ai fini le livre hier. J'ai cru voir aussi une erreur dans la chrono (il me semble que l'émission "Pas de panique" a été lancée en 73 et pas en 71). Le livre parle beaucoup des personnes. Il se met sur le terrain de la confidence. Mais il parle peu des émissions, de leur étoffe, du son, de tout ce qui fait la saveur de la radio. Très peu de souvenirs d'écoutes figurent dans l'ouvrage. On sent que les deux auteures ne se sont pas penchées sur les archives sonores.
RépondreSupprimerCaroline, documentaliste à la radio
Bonjour et merci Caroline pour votre commentaire. Comme je l'ai ajouté dans le renvoi (3) je n'ai pas pris la peine d'écrire ici toutes les erreurs et elles sont nombreuses… Vous avez raison "Pas de panique" a démarré à la rentrée 73 en binôme Villers/Blanc-Francard (ce dernier arrêtera fin décembre), sur une suggestion de Pierre Wiehn, directeur de la chaîne. Avant de se pencher sur les archives sonores il fallait aussi dans les mêmes termes faire appel à sa propre mémoire auditive pour y donner "un supplément d'âme". C'est ce que j'essaye de faire ici chaque jour.
SupprimerMettez dans la case "vous cherchez quoi" le nom de Villers et vous trouverez plusieurs articles sur le bonhomme. ;-)