Dans le rouge… |
On dirait que pour la radio les médias comme les auditeurs ne font appel qu'à leur mémoire…courte. Exceptées les émissions dites "cultes" dont on se contente de citer le nombre d'années à l'antenne, telle producteur ou productrice n'est bien souvent situé que dans le cadre de l'émission qu'elle/qu'il anime. Émission qui, une fois annoncée l'ancienneté, il est trop souvent considéré que tout est dit. La radio n'aurait pas de mémoire ou si peu qu'il ne faudrait surtout pas "embêter le lecteur/l'auditeur avec ça". La mémoire serait réservée à l'Histoire pas aux histoires. Or la radio c'est aussi beaucoup d'histoires.
Daniel Mermet (1) fait l'objet depuis quelques mois de controverses quant à l'animation des équipes attachées à son émission "Là-bas si j'y suis" qui a démarré à l'antenne à la rentrée 1989. La presse quand elle s'intéresse au sujet n'accorde pas beaucoup d'espace à l'histoire du producteur radiophonique sur la longue durée. Encore moins à l'évolution de l'émission sur presque un quart de siècle. Comment pourrait-il en être autrement ? Qui aujourd'hui écrit sur la radio et était en 1989 à l'écoute de cette émission, même en tant que "simple" auditeur ? Mais qui, malgré cela, s'est intéressé à l'évolution de l'émission et au rôle qu'y a joué son animateur emblématique ?
Il se trouve que des débuts de cette émission j'en ai un souvenir précis. D'auditeur bien sûr. D'auditeur attentif qui avait déjà beaucoup écouté Mermet sur Inter (2). C'est Pierre Bouteiller qui, dès qu'il prend ses fonctions de directeur de la chaîne, propose à Mermet (ou le contraire, va savoir) une émission quotidienne de reportage. À cette époque Mermet est déjà connu pour ses qualités de conteur qu'il a mis au service de plusieurs genres : la fiction, l'érotisme, l'humour, l'enfance (3). Pour écrire ce billet j'ai réécouté l'émission d'octobre 1989 sur l'Irlande (4). À ses débuts l'émission commence à 13h30 et courre jusqu'à 14h30. Elle intègre le flash de 14h, la pub (déjà !), la bourse, les courses et l'autopromotion (total 6'). Le ton de Mermet, sa façon de prendre la parole, d'animer et distribuer la parole des autres n'a rien à voir avec ses façons d'aujourd'hui. La chose la plus caractéristique résidant dans le fait qu'il ne parle pas en surplomb, "par-dessus" les reportages de ses reporters. Il est sur le terrain avec d'autres et construit son émission au fur et à mesure, sans "prendre toute la place". Il annonce d'emblée "je ne suis pas un touriste" et pose "définitivement" la façon dont il va regarder le monde (5).
On peut bien imaginer que sur vingt-quatre ans une émission peut, doit évoluer. Le répondeur, ce fameux répondeur qui monopolise les premières minutes de l'émission et bouffe le temps des reportages est devenu un hochet, une marque de fabrique qui, entre autres, brouille les pistes de l'analyse. Que cherche Mermet avec ce répondeur ? Donner la parole aux "sans voix" ? Prendre le pouls permanent de ses auditeurs, les aficionados comme les "anti" ? S'assurer une "base arrière" et faire entendre ceux qui, si l'émission était déprogrammée, seraient prêts à "assiéger la maison ronde" ? Mais aussi, que cherche donc Mermet en étant omniprésent à l'antenne et laissant une part très congrue aux multiples reporters qui vont en reportage ? Ces questions de fond ont à voir directement avec la radio, sa fabrique et avec l'histoire de l'émission. Elles demandent et demanderont un travail de recherche en profondeur. Les questions périphériques, douloureuses, qui se posent sur son "animation" n'ont, elles, rien à voir avec l'écoute radio en tant que telle et, de fait, ne peuvent trouver ici ni analyse, ni jugement, ni exposition. (Ajout du 6 novembre 2013)
(1) Producteur à France Inter depuis les années 70,
(2) Alors qu'il avait aussi officié à France Culture dans les années 70 en même temps qu'il participait à "L'oreille en coin" sur France Inter. Dans les Nuits sur France Culture, Philippe Garbit a rediffusé il y a quelques années "Chiens écrasés" une chronique courte et enlevée qu'ont pouvait écouter dans quelques épisodes des Nuits magnétiques,
(3) "Interdit aux adultes", programme court quotidien de 8', France Culture, 1976, dans l'émission "Les après-midi de France Culture",
(4) En 7 épisodes diffusés sur deux semaines,
(5) En 1990 l'émission commencera à 14h, en 1995 à 15h, en 1997 à 17h, en 2006 et depuis à 15h.
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