Le 11 avril 2018, devant un CSA amputé de deux de ses membres, son président, Olivier Schramek et Carole Bienaimé-Besse pour raisons de santé, Madame Sibyle Veil a été nommée à la tête de Radio France (1), Pédégère en remplacement de Mathieu Gallet (2014-2018) révoqué par cette même instance fin janvier 2018 (2). En nommant la Directrice déléguée chargée des opérations et des finances[ de Radio France, le CSA a voulu jouer la continuité de la mission confiée à Gallet en 2014 (3).

Et quelle continuité ! Renverser la table, changer les modes de production, baser tout sur le numérique, afficher l'audio comme seul avenir de la radio (sic), émietter les programmes en autant de podcasts sur toutes les supports (possibles et imaginables), détemporaliser les émissions, faire des rediffusions et des re-rediffusions un principe éditorial fort, inventer des moutons à cinq pattes pour casser les métiers de la production, de la réalisation, du son et bien sûr, cerise sur le gâteau, développer une armée mexicaine de cadres… Last but not least !
Voilà les grandes lignes sur lesquelles Veil allait s'appuyer pour manager la Maison de la radio :
- préparer Radio France pour qu’elle soit le fer de lance de la mutation de l’audiovisuel public (abscons),
- révolution des usages,
- ouverture d’un chantier sur l’éditorial et la production,
- décloisonner certains des deux cent quarante métiers.
Veil récite, sans âme, ces différentes assertions, véritables mantras hérités de la période Gallet et élaborés en interne par les mêmes équipes, voir les mêmes dirigeants. Il ne faut surtout "rien changer pour que tout change" aurait dit Lampedusa. Mais derrière ces incantations l'objectif formel de diminuer la masse salariale est omniprésent. Veil est bien partie pour formaliser la mue de la radio publique, sans l'ombre de la moindre culture radio et, absolument dévouée et dévote au "tout numérique", qu'un certain Laurent Frisch (Directeur du Numérique) a mis sur les rails sans, lui-même, en avoir l'ombre d'un doute.
On assiste alors à un glissement sémantique révélateur. La radio, l’auditeur, le programme appartiennent au vocabulaire de l’ancien monde. Renvoyés pêle-mêle au temps de la Téléphonie Sans Fil (TSF). La technocratie managériale - et aux ordres des tutelles - veut des écouteurs de podcasts, des consommateurs de streaming et de DAB+. Tout ça dans une mécanique froide, rationnelle, normative et surtout désincarnée du singulier, pour ne pas dire déincarnée du sensible. "Hors du numérique, point de salut. Globalisation et mondialisation heureuses", comme me le précise un ancien dirigeant de Radio France.
À part réciter sa "leçon" d'énarque déshumanisée, Curien et autres sages du CSA auraient pu demander à Mme Veil, lors de son audition, quelques références et dates marquantes de la radio publique et tant qu'à faire citer quelques femmes et hommes de radio qui ont marqué son histoire. Pour quoi faire ? L'objectif est de manager, s'inspirer de l'industrie et plus jamais d'animer des équipes de création radiophonique.
Quelle autre société dans la chimie, l'agroalimentaire ou l'informatique recruterait ses plus hauts cadres sans que ceux-ci aient un minimum de culture d'entreprise ? Aucune. Mais une société publique au temps de la Macronie conquérante se fout comme d'une guigne de la culture d'entreprise.
La mue de Radio France est en phase d'achèvement. L'unité radiophonique de la société (et non du Groupe) est dilapidée. Ici et franceinfo prêtes à être filialisées dans le cadre de la holding France Médias. Mouv' basculée. France Musique diminuée (en fréquences). Et Fip… inimitée bientôt illimitée. La mue aurait pu s'apparenter à autre chose que l'extinction radiophonique. Aux vieux dinosaures, on alignera des 0 et des 1 sur une plateforme Radio France, elle-même très vite avalée par la méga-plateforme France Médias. Le démantèlement de l'unité radiophonique est patent et irréversible.
Ce n'est plus un présage, on nous prend tous pour des audios, qu'on le veuille ou non !
(1) Ce jour là la séance était présidée par M. Nicolas Curien, Président par intérim, de février à mai 2018,
(2) Après sa condamnation, le 15 janvier 2018, à un an d’emprisonnement avec sursis et à 20 000 euros d’amende pour favoritisme lorsqu’il était à la tête de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), entre 2010 et 2014, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a décidé, mercredi 31 janvier, de retirer à Mathieu Gallet son mandat de président de Radio France (source Le Monde, 31 janvier 2018),
(3) Auditionné à huis-clos par l'instance avec Frédéric Schlesinger qui deviendra Directeur éditorial des antennes, il eût été préférable que l'audition de Gallet soit publique, tant les injonctions de Bercy et de la Cour des Comptes sur la masse salariale de la société Radio France ont forcément eu une influence sur le choix du Pdg par le CSA. En audition publique, le personnel aurait alors, encore mieux, pu comprendre le projet stratégique de MM. Gallet et Schlesinger.
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