Nous avions rendez-vous sur la place. Nous ne nous connaissions pas autrement que par l'écriture. Ce petit bonhomme est arrivé d'un pas volontaire une casquette de marin sur le chef. Tout en marchant il gardait près de l'oreille un transistor qui ne semblait pas émettre autre chose que des grésillements. Après nous être salués nous entrâmes dans la première gargote venue et enchaînâmes sur notre passion commune de la radio.
Il avait posé son transistor comme neuf à côté de lui, éteint. Nous rivalisions de commentaires et quelquefois de jugements assassins. Le temps faisait son affaire. Dehors la neige avait repris. Puis avec un sourire gourmand il alluma le poste et se mit en quête d'une station. Ça crachouillait. Ça donnait des bribes de musique, des incantations politiques, des publicités bidons, des blancs, des silences. De vrais silences de radio où on sentait qu'il devait y avoir eu quelque chose avant et que si la neige arrêtait de tomber d'un coup ça pourrait reprendre.
Il me dit "Tu entends ça ?". Je souriais, à part le bruit environnant il ne sortait plus rien de son coucou. "Ben tu vois c'est exactement comme pour… il essaye de jouer avec les silences mais il n'installe que du vide." Je ne lui fis pas répéter le nom de la personne qu'il avait nommée. Sa sentence pertinente pouvant s'appliquer à quelques unes ou quelques uns. Nous promîmes de nous revoir. En quittant l'estaminet il remit sa casquette de marin en place installa le transistor en bonne place à côté de son oreille. Le temps de neige avait installé un silence profond. Il n'eût pas besoin de monter le son. Il prit le chemin des docks. Mais avant même qu'il ne se mit en marche je crus bien reconnaître la fiction qu'il écoutait.
Voilà bien un original qui a du se bricoler un MP3 caché dans un transistor. C'était son secret et sa fantaisie. L'objet était désuet et magnifique et donnait au bonhomme une présence intemporelle. Comme un autre marcha sur les eaux, lui semblait flotter au-dessus de la neige, capitaine de son corps dont il voulait ménager les roulis. Je compris mieux le sens de la casquette. Et le regardant s'éloigner je lui tirais mon chapeau.
Bien jolie histoire, pleine de charme, tout bonnement exquise. Étonnant mariage d'un transistor et d'un MP3 ? Quel bonheur, par ces temps de froidure enneigée, blottie au coin du feu, de se laisser conter cette merveilleuse rencontre avec le "Petit bonhomme" à la casquette de marin qui m'entraîne, dans son sillage, à un rendez-vous, en comeback, avec Orson Welles.
RépondreSupprimerChapeau au conteur pour ce moment d'évasion !
Merci Simone, on est toujours satisfait d'avoir fait mouche ou d'avoir touché un "auditeur". Claude Dominique parlait justement à un auditeur, tout en sachant que des milliers l'écoutait. Cette rencontre de neige était bien sympa ! Demain dans le feuilleton un très bon moment de radio à redécouvrir…
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