samedi 13 avril 2013

La maison de la radio, le clip… (1)

 




Du point de vue du cinéma
Faudrait-il être critique de cinéma pour critiquer les films ? Pour la "corporation" des critiques patentés, sûrement. Pour les autres, amateurs, cinéphiles, spectateurs sûrement pas. Et quand le sujet d'un film a pour objet une institution (l'école, la télévision, la radio, l'armée…) il est difficile de ne pas s'en rapporter au sujet pour engager la critique. Sachant qu'on pourra "dissocier" le filmage, le montage du sujet lui-même et la façon dont ce sujet a été appréhendé.

Dans les Inrocks (1), Serge Kaganski trouve que "ce sont bien le travail, les efforts, l’exigence, le don de soi à leur mission de service public de tous les salariés de Radio France que le cinéaste a patiemment scrutés." Patiemment c'est sûr puisque Nicolas Philibert a passé six mois au premier semestre 2011 dans "la maison ronde", et engrangé cent-trente heures de rush quand d'habitude il en tourne autour de quarante. Mais, annoncer "tous les salariés" c'est aller un peu vite en besogne. Tous les métiers ne sont pas représentés et surtout malgré ce qu'en a vu Kaganski, toutes les chaînes n'apparaissent pas à l'écran d'une façon ou d'une autre. C'est le cas de Fip et du Mouv'. Fip en 2011 venait de fêter ses quarante ans, ce n'est pas rien. Il y avait des images à faire avec les voix (2) et avec les alchimies sonores que concoctent les programmateurs. Philibert peut en faire l'impasse. C'est un parti pris.

Kaganski ajoute : "Ce sont donc ses cadrages, ses choix, son tempo, ses enchaînements et ses silences qui parlent mieux que n’importe quelle voix off, selon un montage organisé comme une pièce de musique, un assemblage sensoriel de creux et de pleins, de rimes et d’assonances, de plages contemplatives et de rebonds malicieux."  C'est juste sauf que Kaganski n'aborde ni "la mécanique" du tempo choisie par Philibert ni ce qui fait rythme. Nous y reviendrons.


Cocasse et sympathique Frédéric Lodéon






Jacques Mandelbaum, dans le Monde (3), s'est carrément "mis en orbite" pour apprécier "Un film circulaire, traversant une tranche de temps d'un matin à un autre matin, au sein d'un bâtiment lui-même parfaitement arrondi." Notons au passage que dans son article Mandelbaum réduit le groupe Radio France à 4 chaînes. Il "occulte" France Info et France Bleu (présentes dans le film) et Le Mouv' l'"éternelle oubliée", comme dirait Syntone. Mandelbaum lyrique, enthousiaste, dithyrambique, analyse, par le filtre de sa profession, "L'hommage que rend, comme en passant, le film à cette passion collective de l'excellence, à cette rigueur mise dans la recherche d'un ton juste, d'une rencontre élective ou d'un son inédit, met un peu de baume, avouons-le, sur une profession journalistique passablement démonétisée. Rien de ce qui précède, qui contribue au formidable intérêt de ce film, n'en dit pourtant l'essentiel." Il faudra dire à Mandelbaum que la radio n'est pas le fait des seuls journalistes. Emporté par son élan Mandelbaum oublie juste de pointer du doigt, de l'œil ou de l'oreille les partis pris de Philibert. Pourtant un engagement, un parti pris n'est-ce pas ça qui fait le cinéma  ?

Dans Libération (4), Olivier Séguret pointe qu' "Au sein de cette «maison» et parmi ses habitants, le film dessine un parcours que rien ne vient soutenir, justifier, expliquer. Ce parcours n’est pas désagréable mais on se dit que beaucoup d’autres seraient équivalents, faisant perdre à la Maison de la radio sa nécessité spécifique." Emporté par le rythme soutenu du montage, par les accroches des gros plans, par le running gag avec Marie-Claude Pinson (5), on pourrait rester ébloui par la diversité des images et des situations. Sauf que de façon subliminale il y a bien un "fil conducteur", un "fil rouge" même, qui là encore proposent un parti pris engageant.



Laetitia Bernard, journaliste.



Plus surprenant, et c'est là que commence ma critique, le film prend le parti d'être didactique. Pour Philibert la radio "commencerait" à 7h (du matin). Diantre ! Je me pince. La radio commence quand on l'allume, quoi qu'il arrive. Il y a cinquante ans France Inter s'est démarquée de ses consœurs en proposant l'antenne "24/24". Aujourd'hui toutes les chaînes du service public émettent 24/24 (6). Alors pourquoi ce choix de démarrer à 7h et pourquoi par France Inter ? Le Mouv', France Musique, France Culture, France Bleu ont aussi des matinales qui ont nécessité un travail de nuit. Depuis plusieurs années, la radio, a voulu rendre plus fluide le passage d'une session d'info à l'autre et même d'une émission à l'autre. Comment se fait-il alors que la journaliste qui anime la session d'infos du 6/7, Audrey Pulvar, en est réduite à faire "la passe" à Patrick Cohen (7/9) dans une image très furtive. "Gommer" Pulvar c'est sur-représenter Cohen qui n'en a pas besoin. Choisir l'un au détriment de l'autre, n'est-ce pas un parti-pris ?

Commencer le film par l'image très forte, très évidente, de la station-phare du groupe Radio France (7) c'est induire une pratique d'écoute. Cela pourrait vouloir dire "Moi le matin j'écoute d'abord France Inter" ! Et ce n'est pas un parti pris ça ? Pour avoir vu le film trois fois (8) j'ai fini par trouver que le "fil rouge" collait parfaitement au logo rouge de France Inter. En effet, dans le film, la progression temporelle des émissions au fur et à mesure de la journée concerne surtout cette chaîne. Les autres séquences des émissions des autres chaînes n'interviennent pas dans leur chronologie de diffusion. Alors que "le jeu des mille euros" est lui bien présenté avant Frédéric Lodéon ou Colin et Mauduit. Le cadencement du film suit le rythme d'une journée France Inter. Par des images didactiques (studios vides) Philibert laisse accroire qu'il n'y a que France Info et France Inter qui travaillent la nuit. "Sympa" pour tous les autres des autres chaînes qui sont aussi très tôt "au charbon".


N. Philibert


J'ai eu la chance, dès la quatrième, dans mon collège, d'avoir des "cours" hebdomadaires de cinéma. Ce que j'en ai retenu c'est que le didactisme tue le principe même du cinéma. Le parti-pris de démarrer et de conclure un film de radio à l'heure des infos du matin est tellement prévisible qu'il en caricature l'évidence. Combien écoutent la radio avant et après ? C'est un point de vue de Philibert, j'appelle ça un parti-pris. 

Si l'on ajoute que sur-représenter France Inter c'est encore renforcer l'absence des chaînes, Fip et Le Mouv', qui chacune pourtant participent de la diversité du service public. Quant à la suggestion et la force des voix et du son de la radio, comme aux souvenirs qu'en ont les auditeurs/spectateurs, la petite musique du "jeu des mille euros" n'aurait-elle pas suffi à nous faire "voir" les candidats perplexes et l'animateur gesticulant ? Pourquoi montrer une émission la plus banale d'un point de vue radiophonique ? Parce qu'elle est populaire ? Facile. C'est un parti-pris.

Alors, comme l'a dit Clo Chapuis sur Twitter, "la succession de clips" qui compose le film n'est pas désagréable à regarder. Elle fait quelquefois sourire. Elle interroge sur le titre même du documentaire. "À la maison de la radio" aurait été plus juste et aurait permis qu'on ne soit pas surpris par les partis-pris, ceux-là même dont Philibert ne devrait pas se défendre, tant ils sont l'essence même de sa création. 

La partie 2, "Du point de vue de la radio", dans le billet ci-après.

(1) Le 2 avril, sur leur site www.lesinrocks.com
(2) L'image de marque de Fip, au moins autant que la diffusion de "60 minutes de musique par heure", slogan inventé par les créateurs de cette radio en 1971, Jean Garretto et Pierre Codou,
(3) 2 avril 2013,
(4) 2 avril 2013,
(5) Rédactrice en chef des journaux de France Inter (journée),
(6) Ne reste que France Culture pour proposer un programme original de nuit, fait d'archives et d'une rediffusion de la journée précédente,
(7) Paradoxe, depuis 8 ans, France Inter ne tourne plus dans "La Maison de la radio" mais dans un immeuble à proximité, "Rue Mangin",
(8) Avant première 8 février Brest, 19 mars Nantes, séance publique 30 mars,

4 commentaires:

  1. Ce film, que nos avons vu lors d'une même séance à Brest mon cher Fañch a décidément beaucoup de contempteurs et de détracteurs ce qui démontre au moins que c'est déjà un objet de passion.
    La lecture de ces critiques me confirme au moins une chose: je n'ai aucun esprit critique quant à l'image. j'aime ou je déteste mais je suis totalement incapable de voir et de comprendre l'essence même de ce que les critiques montrent ou démontrent.
    La critique est un genre en soi. Elle ne regarde qu'elle-même, se nourrit de ses interrogations propres et ne regarde pas avec le regard du cinéaste.Peu m'importe en fait que telle ou telle chaîne ait ou non été traitée à l'image, que le titre soit juste ou faux ou approximativement erroné toutes ces choses-là ne pèsent rien pour moi.
    Ai-je oui ou non pris du plaisir à visionner ce film? La réponse est très clairement oui et je n'ai pas envie de décortiquer la construction ou les thèmes ou encore de me demander si le cinéaste à pris tel ou tel angle...en clair je m'en contre-fiche et je vais même au-delà en me disant que l'important est d'être allé à la rencontre de l'auteur bien plus qu'à la rencontre de la maison ronde dont je me fiche comme de ma première émission du jeu d'Emile Franc.....
    Désolé pour ceux qui se cassent le pur esprit à dire tout le mal qu'ils pensent de ce film mais moi j'ai aimé et qui plus est je me fiche totalement de savoir pourquoi....Et je retournerai le voir et même j'achèterai le DVD à sa sortie juste pour dire tout le plaisir que ce film m'a procuré.

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    1. Du pur Jakki, angle, ton, engagement, sincérité et liberté ! Zyva camarade. Je n'ai pas écrit pour faire le critique, j'ai écrit pour dire qu'à faire accroire qu'on n'a pas de parti-pris c'est du pipeau. Je trouve surprenant qu'avec un tel titre on fasse des impasses. Mon propos est : "Changez de titre !". Ce qui ne m'empêchera pas de le revoir dans quelques années.

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  2. Christian Rosset14 avril 2013 à 12:06

    Moi, ça m'a donné un coup de jeune d'aller voir ce film en salle ! Moyenne d'âge : plus de 60 ans, un samedi soir, en plus... Salle raisonnablement pleine, mais pas un jeune, ni même un quadra... Par contre, je dois toujours être atteint de la mélancolie propre à la jeunesse, parce que je n'ai pas beaucoup ri (les seniors étaient pliés en deux - surtout quand on expliquait que Yann Paranthoën enregistrait ses patates en train de pousser, ce qui m'a ému pour ma part, mais j'étais bien le seul) et je me suis terriblement ennuyé (même si quelques pépites, surtout dans les moment où la radio la ferme enfin et écoute...). La maison était trop belle pour notre cinéaste. C'est comme une splendide demeure dont on n'aurait exploré que les parties les plus visibles en oubliant de révéler son vrai mystère (encore une fois, malgré quelques belles séquences et images, par-ci, par-là : quelques moment très touchants, et même de grâce - palme à l'entretien silencieux (ou presque) Veinstein - Heim).

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  3. Pour ma part, j'ai apprécié votre analyse, Fanch. Beau travail de dévoilement de l'esprit qui sous-tend le documentaire.

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