mercredi 24 avril 2013

La mémoire en (dé)chantant…

Carol Amar © Photo pqr/Le Parisien /Maxpp






De quoi faut-il se réjouir ce 23 avril ? Dans un autre contexte on aurait pu prendre la mesure d'un bouleversement de société. Mais, derrière la joie des uns et le dépit des autres, les feux du désespoir brûlent un peu partout. Un peu partout où le socle des usines, du travail et des luttes vacille. Mais dans l'empilement du marasme quotidien il est bien difficile de perdre la mémoire.

Difficile de chanter aussi. Pourtant si j'osais faire ce que faisait si bien François-Régis Barbry, je serais déjà en route pour Florange. Et, au tout petit matin, arrivant devant la porte de Mittal, j'enregistrerais les bruits de l'usine, les assourdissants comme les imperceptibles. Les sans-voix, et les silences, assourdissants ou imperceptibles eux-aussi. À cela je mixerais "tu verras bien qu'un beau matin fatigué, j'irai m'asseoir sur le trottoir d'à coté…" (1) Puis, venant de loin, presque étouffé, le chant sublime d'Aragon "tout ce que l'homme fut de grand et de sublime, sa protestation, ses chants, et ses héros…" (2) Les regards des hommes seraient insoutenables, noyés par les larmes de la colère et le sentiment tragique de l'abandon. "Est-ce ainsi que les hommes vivent…" (3)

Pléonasme ? Si vous voulez. S'rez pas obligés d'écouter ! Et même si le Bernard est reparti on en remettra une couche :
"Viens petite bourgeoise demoiselle
Visiter la plage aux de Wendel
Ici pour trouver l'Eldorado
Il faut une shooteuse ou un marteau
La vallée d'la Fensch ma chérie
C'est l'Colorado en plus petit
Y a moins de chevaux et de condors
Mais ça fait quand même autant de morts
Ma belle femelle de métal
Je t'invite dans mon carnaval
Ici la cadence c'est vraiment trop
Ici y a pas d'place pour les manchots
" (4)

Y'aura pas une parole de trop ! Surtout pas celle des traîtres. Y'aura tellement pas eu d'soleil depuis si longtemps, qu'il n'y aura pas "de belles, la folie en tête". Même si le Jean-Baptiste, Clément, nous entraîne à chanter, faux, un "temps des cerises", passé, désolé, brisé. Même si au "conditionnel de variétés" il faudrait ajouter Florange, Pétroplus, Good Year,… "Comme si je vous disais que les cadences exténuent les ouvriers, jamais les présidents…" (5)

Et puis après un trop long silence, la parole des sans-voix reviendra, assourdissante, tonitruante, déterminante…

Léo Ferré - Le conditionnel de variétés par Alonzo52

(1) Alain Souchon
(2) Jean Ferrat
(3) Léo Ferré
(4) Bernard Lavilliers
(5) Léo Ferré

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire