Jean-Claude Ameisen |
Du point de vue de la radio
Quand il parle de son film dans les avant-premières Nicolas Philibert dit "Au départ, c'est pas une bonne idée. La radio est un média qui tient sa beauté, sa force, son intérêt de l'absence d'image". CQFD. Il ajoute "Comment filmer la radio, sans estomper son mystère. J'ai montré un peu, pas trop." (1)
Mais là où l'on reste absolument dubitatif c'est de ne voir aucune cellule de montage, comme si la radio n'était que du direct. Cette "impasse" est invraisemblable, elle gomme tout le travail de création en amont des émissions. Elle occulte ce qui a fait la patte de Kriss, de Mermet, de Robert Arnaut et tant d'autres producteurs de l'époque "Oreille en coin" (France Inter), comme celle de France Culture, même si aujourd'hui, sur cette chaîne, les émissions de "plateaux" ont supplanté les émissions "enregistrées". En montrant le travail des réalisateurs et des preneurs de son pour la création des dramatiques, Philibert squeeze l'étape suivante, celle essentielle du montage. La fabrique de la radio est totalement absente de son film. Or c'est pourtant dans cette Maison de la radio que des milliers d'heure de création radiophonique ont été écrites, enregistrées, montées, diffusées.
Quant au choix des émissions, si Philibert précise qu'il a "moins eu lieu en fonction des contenus, mais bien à partir de la variété, de la thématique, du dispositif. Ni le sujet, ni le thème n'ont présidé à ce choix. La présence des gens pour et autour de l'émission était importante." Pourquoi alors avoir choisi et Umberto Ecco et Arno dans l'émission d'entretien des après-midi de France Inter ? Et pourquoi pas "Plan B" de Frédéric Bonnaud qui recevait à 17h ceux qui faisaient l'actualité culturelle ? Pourquoi pas Sonia Kronlund en reportage (3), ou tel producteur de "Sur les docks" (4), ou bien encore Marcel Quillévéré dans ses "Traverses du temps" (5). Pourquoi Hervé Pauchon (France Inter) sur un toit, Marie-Pierre Planchon (France Inter) à la météo marine et pas les voix de Fip ? Avec ces exemples, l'argument de Philibert ne tient pas.
Caroline Ostermann |
Si le cinéaste dit être inquiet de l'avenir de la radio de création, pourquoi fait-il l'impasse sur les feuilletons, France Culture étant la seule chaîne à en produire aujourd'hui ? Pourquoi donner de France Bleu l'image d'une radio de "dédicaces" (6) alors que les quarante-trois locales du réseau font un travail de fourmi dans les régions ? La maison de la radio embrasse un éventail très large (360°) de création, le film de Philibert en montre une très petite partie.
Toutefois, là où Philibert a su transcender et l'image et le son, c'est par ses choix de gros plan et d'expression du regard en situation à l'antenne, - de l'intervieweur et de l'interviewé - qui bouleversent absolument l'idée qu'on peut se faire d'un tête à tête "banal" ! Le point focal de ces façons de radio s'illustre avec la très bonne séance de "Du jour au lendemain" (7) où Alain Veinstein, met, avant l'émission, ses invités en condition, et où les silences permettent une tension sensible. Réussi aussi, le kaléidoscope des voix, des accents, des origines que le documentaire traduit bien.
Si l'on accepte le postulat que Philibert a fait un film autour de France Inter (8) son documentaire traduit bien une vision (parmi d'autres) de la maison de la radio. Si, au contraire, on considère le postulat de Philibert on est dubitatif. Le parti pris est évident et c'est le titre même du film qui interroge. "La maison de la radio", telle qu'elle existe avenue du Président Kennedy à Paris, est un kaléidoscope de voix, de métiers, de techniques, de savoirs-faire. Le titre que Philibert a choisi laisse imaginer qu'on verra ce kaléidoscope, ce qui n'est pas le cas. Le bon titre pour ce documentaire aurait été, j'insiste, "À la maison de la radio".
La partie 3, "Du point de vue du sensible", dans le billet ci-après.
(1) Je suis d'accord avec Etienne Noiseau qui reproche au réalisateur d'avoir dévoilé ce qui se passe quand Rebecca Manzoni, (Eclectik, France Inter) laisse ses invités seuls (2). L'imaginaire autour des patates de Jean-Bernard Pouy vole en éclat et, le charme ou le trouble d'être seul face au Nagra est rompu,
(2) Annie Ernaux, Jean-Bernard Pouy, chacun dans une émission différente,
(3) "Les pieds sur terre", France Culture, du lundi au vendredi,
(4) "Sur les docks", France Culture, du lundi au jeudi, 17h,
(5) France Musique,
(6) L'émission "la compil'" est diffusée depuis Paris sur tout le réseau France Bleu,
(7) France Culture, du lundi au vendredi, minuit
(8) 70% des images et 30% pour toutes les autres chaînes (calculé au ressenti, donc fiabilité moyenne)
Toujours pas vu ! (Je vais essayer de rattraper ça ce week-end, même si mon besoin d'images - qui est bien plus difficile à rassasier que celui de sons - me conduirait plutôt ailleurs).
RépondreSupprimerUne petite remarque spontanée à la lecture de cette "lecture critique épisode 2" : le montage devait être bien plus passionnant à filmer du temps de l'analogique ; filmer des écrans et des coups de ciseau numérique, quel intérêt ? Ce que je crains surtout (et qui m'empêche de me précipiter), c'est que le sujet ne soit pas la "maison", je veux dire : ses murs, ses couloirs, ses portes, ses ruines, ses objets, ses vestiges, ses tournants, sa poussière, sa vieillerie, sa jeunesse éternelle, ses nouvelles zones bruyantes et lumineuses... Il aurait fallu la Marguerite Duras de "Son nom de Venise dans Calcutta désert" pour filmer la maison de la radio ! (N'oublions pas que la bande-son d'"India Song" a été, en partie, réalisée dans le cadre de l'ACR - donc dans les studios et cellules de la maison...)
Verdit éventuellement après vision, même si - à quoi bon donner son avis...
Ah ah ! J'ai écrit "verdit" au lieu de "verdict" ! Bon, ça ne veut rien dire. Sur les lapsus clavier ordi, Freud n'a encore rien écrit...
RépondreSupprimerOn peut aussi voir le verre à moitié plein..
RépondreSupprimerSûrement, mais pourriez-vous développer !
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